Dans la Meuse, le mémorial aux combattants musulmans de la Première Guerre mondiale se tient devant l’ossuaire de Douaumont et près des 592 tombes musulmanes orientées vers La Mecque. Symbole de la Bataille de Verdun, il rend hommage à l’ensemble des soldats musulmans tombés pendant la Grande Guerre.
Le mémorial est inauguré le dimanche 25 juin 2006 par le président de République Jacques Chirac, par le recteur Dalil Boubakeur, alors président du Conseil Français du Culte Musulman, en présence de la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, du ministre délégué aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, des présidents de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, et du Sénat, Christian Poncelet.
Par sa volonté d’édifier le mémorial aux soldats musulmans, le président de la République Jacques Chirac, grand témoin de l’Histoire, leur a exprimé la reconnaissance éternelle de la France. Cet acte d’une grande valeur symbolique s’inscrit aussi dans le souci de rassemblement et de lutte contre tout clivage inutile qui a constamment marqué l’œuvre politique du président Jacques Chirac. Conscient des difficultés d’organisation du Culte musulman, tout en veillant à sa liberté dans le respect de la loi et de la laïcité, le président avait créé, en 2003, le Conseil Français du Culte Musulman et, en mars 2005, sous l’égide de la nouvelle institution et de la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, l’Aumônerie militaire du culte musulman.
La Bataille de Verdun : le sommet de l’engagement des soldats musulmans
L’histoire mémorable des soldats musulmans morts pour la France ne commence pas en 1914. Elle remonte à la conquête de l’Algérie en 1830. Après les campagnes de Crimée (1856), du Mexique (1862) et le conflit contre Bismark (1870), les forces d’Afrique sont devenues incontournables à l’armée française qui, dès les premiers signes d’une guerre inéluctable, s’organise avec elles. Pour preuve : le 19 septembre 1912, la conscription, appelant sous les drapeaux tous les jeunes de plus de dix-neuf ans, est instituée en Algérie.
Des dizaines de régiments (trente-et-un, en tout) de soldats venus d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest sont engagés dans la Première guerre mondiale. Aux côtés de tous leurs frères d’armes, ils vivent des conditions affreuses : les batailles épouvantables, les bombardements incessants, les combats inhumains, les gaz asphyxiants, les tranchées insalubres, accablantes et mortifères.
Foch, Nivelle, Mangin et tant d’autres grands officiers conduisent les unités de musulmans aux terribles épreuves de l’Yser, de la Marne, de l’Argonne, de la Somme, de la Meuse. Et survient la Bataille de Verdun, « l’Enfer de 1916 ». Des milliers de soldats musulmans s’accrochent au Bois des Caures, au Mort-Homme, à la Côte 304, à Vaux, à Thiaumont… avant de prendre le fort de Douaumont, signant là un tournant décisif de la guerre et du destin de la France, au cours de l’été, notamment grâce au courage infaillible du Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc (RCIM).
Le bilan de Verdun, à lui seul, est effroyable : 70 000 combattants musulmans y perdent la vie. Sur ces pentes et dans ces tranchées est né l’Islam de France. Un Islam national pétri dans la boue, la souffrance et le sang.
Le loyalisme des troupes musulmanes est grandement ressenti par les autorités françaises. Teilhard de Chardin, brancardier au 8e Régiment de marche de tirailleurs, effaré par l’intensité infernale de Verdun, s’exclame : « Je ne sais pas quelle espèce de monument le pays élèvera plus tard en souvenir de cette lutte acharnée ».
Cette énergie, cette vaillance intraitable, cette défense acharnée de la France est consacrée par la décision de Millerand, Poincaré, Deschanel et Doumergue, soutenus par les maréchaux Lyautey, Foch, Franchet d’Espérey et par le rapport Herriot de 1922, de créer la Mosquée de Paris. Le maréchal Lyautey allait déclarer lors de la pose de sa première pierre : « Si la Guerre a scellé sur les champs de bataille la fraternité franco-musulmane et si des centaines de milliers de nos sujets et protégés sont morts au service d’une patrie désormais commune, cette patrie doit tenir à honneur et par des actes sa reconnaissance et son souvenir ».
Le vœu d’un mémorial contre l’oubli
Si des monuments dédiés aux soldats chrétiens et juifs existent depuis les années trente sur le site de Douaumont à Verdun, les musulmans doivent se contenter jusque-là d’une simple stèle rappelant le sacrifice des troupes coloniales. Il faudra près de quatre-vingt-dix ans pour que les tirailleurs musulmans entrent au Panthéon de la mémoire.
Au début des années 1920, d’anciens combattants musulmans demandent déjà l’édification d’un tel bâtiment. Leurs revendications restent lettre morte.
Dalil Boubakeur, qui assiste en 1966 comme représentant de l’Islam à la cérémonie du 50e anniversaire de la Bataille, présidée par le général de Gaulle, se souvient du discours d’André Malraux, ministre de la Culture, qui, avec lyrisme, évoque tous les combats rassemblés sous le nom de « Verdun ». Le ministre émeut vivement les personnalités présentes qui n’oublieront jamais ce moment exceptionnel. D’autant plus que l’indigence des tombes musulmanes semble être oubliée de tous.
C’est ainsi que, dès sa nomination en 1992, le recteur Dalil Boubakeur dépose une plaque de marbre à Verdun pour exprimer la reconnaissance de la Mosquée de Paris à tous ces musulmans sacrifiés pour la France, et multiplie les demandes pour ériger un site mémoriel de plus grande envergure.
En 2004, le président de la République Jacques Chirac, sensibilisé à la doléance du recteur, donne alors instruction à la ministre de la Défense, Madame Alliot-Marie, et à son secrétaire d’État aux Anciens Combattants, Monsieur Hamaloui Mekachera, de lancer sans délai le chantier du Mémorial musulman de Verdun. C’est sur la commune de Fleury-devant-Douaumont (autre haut-lieu de la Bataille de Verdun) que le choix se porte finalement.
En juin 2006 à Verdun : l’inauguration d’une koubba par le président de la République Jacques Chirac
L’’injustice sera donc réparée par un monument de style mauresque de couleur blanche, composé d’un déambulatoire de 25 mètres sur 19, agrémenté d’arcades et de murs crénelés, avec en son centre une koubba(coupole) en pierres de Meuse. L’architecture est choisie par le recteur de la Mosquée de Paris avec les architectes du ministère de la Défense.
Pendant deux ans, les travaux de déminage et de terrassement minutieux du terrain mettent à jour 219 munitions, bombes, obus ou grenades dans ce petit périmètre – ainsi que les ossements d’un soldat dont la confession reste à jamais inconnue.
L’édifice en lui-même est construit en un temps record. La première pierre est posée le 23 mars 2006 et, en juin de la même année, le président de la République, Monsieur Jacques Chirac, inaugure solennellement l’œuvre achevée avec le recteur Dalil Boubakeur, en présence d’une nombreuse assistance de militaires et d’anciens combattants.
Le chef de l’État Jacques Chirac exalte dans son discours le rassemblement de « la France dans sa diversité » qui a permis à l’armée française de tenir pendant les « 300 jours et 300 nuits » de la bataille la plus meurtrière de la Première Guerre mondiale. « Durant cette interminable année 1916, toute la France était à Verdun, et Verdun était devenu toute la France, rappelle-t-il. L’armée de Verdun, c’était l’armée du peuple, et tout le peuple y prenait sa part. C’était la France, dans sa diversité ». Il souligne : « Ces hommes qui se battaient avec acharnement n’étaient pas mus par le nationalisme, ni par la haine de l’ennemi. Leur âme n’était pas militariste. Leur âme était patriotique. Elle était républicaine. »
Pour le recteur de la Grande Mosquée de Paris, ce monument est une « réponse officielle et, je l’espère, la réponse d’avenir pour une plus grande intégration de l’ensemble de la communauté musulmane de France qui est aussi, notons-le et insistons, une composante de la communauté française à part entière, au mois de par le sang versé », déclare-t-il à l’issue de la cérémonie.
Il ajoute qu’il voit à travers ce mausolée inauguré par le président de la République un signe positif lancé aux jeunes : « C’est ici que l’Islam de France est né… Il a pris racine dans les plaines labourées de Verdun, Douaumont, Fleury où les tirailleurs algériens, tunisiens, sénégalais et les tabors marocains ont défendu dans les tourments la France comme patrie, explique-t-il. Aujourd’hui, alors que les jeunes Français se posent des questions sur leur identité, il est important de dire que leurs parents ont participé à la défense du pays. »
Docteur Dalil Boubakeur
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
Président du Conseil Français du Culte Musulman