Par le Professeur Mohamed AIOUAZ

Le pèlerinage à la Maison Sacrée (Al-Ka’ba) est le 5ème pilier de l’Islam. Le 1er Chawwâl, date de la fête de la rupture finale du jeûne, annonce le début de la période du Grand pèlerinage

Dans la conception de1’Islam, la vie tout entière représente un temple d’adoration. Elle est rythmée par des pratiques rituelles qui font participer l’homme à la sacralisation du temps et de l’espace. Le Coran nous apprend au sujet du pèlerinage à la Maison Sacrée (Al-ka’ba), qu’ « Il incombe aux hommes, à ceux qui possèdent les moyens d’aller, par Dieu, en pèlerinage à la maison » Coran -III, 97. Ainsi, le 1er Chawwâl, date de la fête de la rupture finale du jeûne, annonce le début de la période du grand pèlerinage qui s’étend jusqu’au 10ème jour de dhu-l-higga (le dernier mois de l’année lunaire). C’est cette période qui constitue les mois du pèlerinage : chawwâl, dhu-l-qi’da et les dix premiers jours de dhu-l-higga (al-mawâ-qît az-zamâniyya).

La tradition musulmane rapporte que la ka’ba a été fondée par Adam, et que son emplacement a été indiqué par inspiration divine à Abraham. « Le premier temple qui ait été fondé pour les hommes est, en vérité, celui de Bakka. Il est béni et sert de direction pour les mondes. On y trouve des signes évidents : la station d’Abraham. Quiconque y pénètre est en sécurité » Coran – III, 96.

« Nous avons établi pour Abraham l’emplacement de la Maison. Ne m’associe rien, purifie ma maison pour ceux qui accomplissent les circuits, pour ceux qui s’y tiennent debout, pour ceux qui s’inclinent et qui se prosternent » Coran – XXII, 26. C’est en effet à la suite de cette inspiration divine, qu’Abraham y conduisit son épouse Hâgâr et son fils Ismaïl pour se consacrer à Dieu et lui vouer une adoration sincère, comme le relate le Coran « Notre Seigneur ! J’ai établi une partie de mes descendants dans une vallée stérile auprès de ta Maison Sacrée. Ô notre Seigneur ! Afin qu’ils s’acquittent de la prière » Coran – XIV 37.

Elévation des fondements de la Maison Sacrée. Le Coran rapporte à ce sujet : « Lorsque Abraham et Ismaïl eurent élevé les fondements de la maison, ils s’écrièrent : Notre Seigneur ! Accepte cela de notre part, car Tu es celui qui entend et connaît tout » Coran – II, 127.

Les fins du pèlerinage. Comme toute pratique rituelle en Islam, le pèlerinage à des fins spirituelles et communautaires est un moyen pour invoquer le Nom d’Allah, de le glorifier et de lui présenter les louanges. Il est aussi la concrétisation du sens de la communauté (Umma) dont chaque musulman représente un membre. Dieu dit à ce sujet : « Appelle les hommes au pèlerinage ! Ils viendront à toi, à pied ou sur toutes monture efflanquée. Ils viendront par des chemins éloignés pour témoigner des bienfaits qui leur seront accordés, et pour invoquer le Nom de Dieu dans des jours fixés sur les bêtes des troupeaux qu’il leur a accordée. Mangez-en et nourrissez en le pauvre, le malheureux » Coran – XXII, 27 et 28. Le pèlerinage est néanmoins soumis à deux conditions : avoir les capacités physiques et financières.

Le premier pilier du pélerinage

L’état de sacralité (al-ihrâm) qui est la formulation de l’intention. Ce rite annonce le début de tous les autres rites relatifs au pèlerinage. Cet acte implique d’autres attitudes et comportements qui ne font pas partie des piliers (arkân), mais qui, en cas de négligence, exige une mesure expiatoire par le sacrifice d’une bête.

Avant d’entrer en état de sacralisation, il est recommandé au pèlerin de se couper les ongles, de se laver rituellement le corps (gâmâba), d’enlever ses vêtements habituels (tagârrud) et mettre deux pièces d’étoffe, de préférence blanches, dont l’une à mettre sur les épaules et la seconde autour de la hanche, et de se découvrir la tête (pour les hommes). Le pèlerin procédera ensuite à une prière de deux unités (Rak’a) avant de formuler son intention d’accomplir le pèlerinage.

Il existe trois types de sacralisation :

  • Si le pèlerin envisage d’accomplir uniquement le grand pèlerinage, (alifrâd), il dit : « A ton service Seigneur pour un grand pèlerinage. »
  • S’il envisage de lier le petit et le grand pèlerinage (al-muqrin), il dit alors : « A ton service Seigneur pour un petit et grand pèlerinage » (Labbayka allâhumma hagâgâ wa ’umra).
  • Si le pèlerin envisage de commencer son pèlerinage par une Umra, il dit alors : « A ton service Seigneur pour une umra « (labbayka allâhuma ’umra).

Après chaque formulation d’intention, le pèlerin doit prononcer la formule invocatoire enseignée par le Prophète (SAWS) : « A ton Service Seigneur, A Ton service. A Ton service, Toi qui n’as point d’associé ! La louange, la grâce et le royaume t’appartiennent . Ô Toi qui n’a point d’associé. » Il est souhaitable de réciter cette formule invocatoire dans les diverses

Circonstances du pèlerinage.

Les lieux de sacralisation.

Il s’agit de certaines limites géographiques que le pèlerin ne doit pas dépasser sans avoir préalablement formulé son intention. Ces lieux sont différents selon les provenances des pèlerins, et quel que soit le moyen de transport : air, mer, terre.

  • Premier lieu : al-gâhfa ou Râbig, pour les gens en provenance d’Egypte, de Syrie, du Liban et du Maghreb. Ce lieu est situé à 204 km de la Mecque.
  • Deuxième lieu : dhu-l-hulayfa ou Àbâr ’Ali, pour ceux qui viennent de Médine. Il se situe à 450 km de la Mecque.
  • Troisième lieu : Qaru al-manâzil, pour ceux qui viennent de Nagâdet au Koweït. C’est un petit mont de la vallée de Arafa, situé à 94 km à l’Est de la Mecque.
  • Quatrième lieu : Yalamlam, pour les pèlerins en provenance du Yemen. C’est un petit mont situé à 54 km environ au Sud de la Mecque.
  • Cinquième lieu : Dhat irq, pour ceux qui viennent d’Irak. Il est situé à 94 km environ au Nord-Est de la Mecque.

Pour les gens qui habitent entre ces lieux et la Mecque, ainsi que pour les habitants de la Mecque, ils procéderont aux rites de sacralisation à partir du lieu de leur résidence, conformément à la tradition prophétique rapportée par lbn’ Abbâs : « Ceux qui habitent en deçà de ces lieux, le feront là où ils résident. Quant aux Mecquois, ils le feront de chez eux. » Quant aux pèlerins qui souhaitent accomplir le rite du petit pèlerinage (Umra) tout en étant à la Mecque, ils devront rejoindre la limite de sacralisation (al-hill) située dans la région de Tan’îm où se trouve la Mosquée de Aïcha, l’épouse du Prophète. La tradition rapporte que lorsque Aïcha voulut accomplir la Umra, le Prophète (SAWS) ordonna à son frère Abderrahman de l’emmener à cet endroit.

Arrivée à la Mecque, il est recommandé aux pèlerins d’entrer dans l’enceinte sacrée par la porte de la paix (bâb as-salâm), pour accomplir ensuite les tournées rituelles au nombre de sept. L’invocation suivante est recommandée de manière facultative : « Seigneur ! Accordes à cette Maison encore plus d’honneur, de noblesse, de grandeur et de bénédiction. Accordes à tous ceux qui effectuent le grand ou le petit pèlerinage, plus de noblesse, de bénédiction et un honneur plus grand. Seigneur ! Toi qui es la paix, et de Toi par qui vient la paix, salue- nous par la paix et fais-nous entrer au paradis, demeure de la paix. « 

Les tournées rituelles autour de la Ka’ba sont de trois sortes :

  • Tournées rituelles de l’arrivée (tawâf al-qudûm). Elles ne constituent pas l’un des piliers du pèlerinage. Mais, en cas de négligence, le pèlerin est redevable du sacrifice rituel d’une bête.
  • Tournées rituelles accomplies à la fin du pèlerinage, c’est à dire, après le jour de Arafa. Ce rite (tawâf al-ifâda), qui est le circuit de la clôture, est l’un des piliers du pèlerinage.
  • Tournées rituelles de l’adieu : (tawâf al-wadâ’). Ces tournées, toujours au nombre de sept, ne sont ni obligatoires ni recommandées par la tradition prophétique. Mais seulement un acte d’adieu qui marque la fin des rites du pèlerinage et le départ du pèlerin.

Quelques règles relatives aux tournées rituelles.

Les sept tournées rituelles commencent à partir de la pierre noire (al-hagâr al-aswad). Il est recommandé au pèlerin de l’embrasser, ou de lui faire signe de la main. Ce signe symbolise le renouvellement du pacte primordial entre Dieu et l’Homme d’une part, et, d’autre part, la conformité à la tradition du Prophète (SAWS). Le pèlerin accomplit les trois premières tournées à pas rapides, et les quatre autres tournées en marchant.

Les conditions de validité des tournées rituelles sont les mêmes que pour la prière par rapport à l’intention et à la purification, puisque la tradition prophétique rapporte que le  » tawâf  » est une prière.

A la fin des sept tournées rituelles, le pèlerin se dirigera vers la station d’Abraham pour faire deux unités de prières. Cette station est le rocher sur lequel Abraham et son fils Ismaïl se tenaient pour élever les assises de la Maison Sacrée (maqâm Ibrahîm). Le pèlerin se dirige ensuite vers la fontaine de Zam-Zam pour boire de cette eau bénie, et formuler vœux, demandes et prières…

Le deuxième pilier du pèlerinage

Le parcours entre les deux monts Safâ et Marwa. Ce rite, qui constitue l’un des quatre piliers du pèlerinage, doit être accompli tout de suite après les sept tournées rituelles. L’état de pureté n’est pas obligatoire pendant ce rite, mais seulement recommandé. Le parcours est lui aussi de sept allers-retours commençant par le mont de Safâ et se terminant par le mont Marwa. Le Coran rapporte à ce sujet :

« As-Safâ et Al-Marwa comptent vraiment parmi les choses sacrées de Dieu. Celui qui accomplit le grand pèlerinage à la Maison, ou le petit pèlerinage, ne commet pas de péché s’il accomplit les circuits rituels ici et là. Celui qui s’en acquitte de bon gré fait bien. Dieu est reconnaissant et Il sait » Coran – II, 158. L’invocation recommandée au début de ce rite est la suivante : « Dieu est le plus grand. Louange à Dieu, abondance de louanges à Dieu, qu’Il soit exalté matin et soir. Il n’y a de Dieu que Lui, Seul et Unique. Il a tenu sa promesse, secouru son serviteur et vaincu les factions.« 

Chaque parcours rituel commence par le mont d’As-Safâ, et se termine par le mont d’Al-Marwâ. La distance entre les deux monts est d’environ 420 mètres. Le pèlerin doit accomplir ses allers-retours sans discontinuité. Il y a, cependant, sur les deux couloirs entre les deux monts, deux piliers verts en guise d’indication pour les pèlerins circulants à pas rapides. Cette règle ne concerne pas les femmes.

La symbolique des allers-retours entre Safâ et Marwâ. Ce rite a pour origine le parcours de Hâgâr qui allait et venait entre les deux monts à la recherche d’eau pour son fils. Subitement, l’eau commença à jaillir au pied d’lsmaïl. Elle n’a cessé de couler depuis… Les parcours rituels doivent être accomplis juste après les circuits autour de la Ka’ba à l’arrivée à la Mecque, ou bien, après le tawâf final (tawâf al-ifada).

Ce rite symbolise la station spirituelle de la remise confiante (a-tawakkul) à Dieu. Le pèlerin est appelé à méditer sur l’état de Hâgâr, qui, en se remettant en toute confiance à Dieu, savait avec certitude qu’elle allait être secourue. Ce rite renvoie aussi à l’importance de la femme en Islam. « Le sens symbolique de la septuple course implique une certaine le prédominance de l’aspect féminin du principe, qui apparaît dans la référence faite à l’histoire d’Hâgâr courant désespérément entre Safâ et Marwâ en quête d’eau pour étancher la soif de son fils Ismaïl. » lbn-Arabî introduit ce commentaire qu’il consacre à Safâ et Marwâ en remarquant que les femmes ont, aussi bien que les hommes, la possibilité d’atteindre la réalisation parfaite. Il se réfère ainsi pour illustrer son propos, à l’histoire de Hâgâr. « Cette prédominance se marque enfin, et c’est le plus important, dans la constitution même du rite » (1).

Les préparatifs du jour de la désaltération (yawm al-tarwiyya). Le 8ème jour de dhu-l-higgâ, appelé « Jour de la désaltération« , les pèlerins se préparent pour se diriger au rassemblement du mont de Arafa, pilier fondamental du pèlerinage, conformément à la parole du Prophète (SAWS) : « Le pèlerinage c’est le rassemblement à Arafa« . Ce jour là, avant de se diriger vers le mont de Arafa, ceux qui accomplissent le pèlerinage doivent d’abord se diriger en état de sacralité vers Mina pour accomplir les prières suivantes : dohr, âsr, maghreb, ichâ et la prière de l’aube (sâbh) du 9ème jour de dhu-l-higga.

Pour ceux qui ont commencé leur pèlerinage par la Umra, et qui sont revenus ensuite à l’état de vie normale en attendant ce jour (yawm al-tarwiyya), ils doivent entrer de nouveau en état de sacralité à partir du lieu de leur lieu de résidence pour se rendre également à Mina, avant de se diriger le 9ème jour de dhul-l-higga à Arafa. Le Prophète (SAWS) dit à propos de ce jour : « Il n’est meilleur jour pour Dieu que celui de Arafa où Dieu descend au plus bas Ciel pour vanter les habitants de la Terre aux habitants du Ciel en disant : Regardez mes serviteurs décoiffés, couverts de poussière, venus dès le matin des chemins les plus éloignés, dans l’espoir d’obtenir ma Miséricorde alors qu’ils ne M’ont pas vu, et pour se protéger de mon châtiment alors qu ’ils ne l’ont pas vu. Je vous prends pour témoins, mes Anges, que je leur ai pardonné« 

Le Prophète dit aussi (SAWS) « Lors que le jour de Arafa arrive, quiconque subsistera dans son cœur l’équivalent d’un atome de foi sera pardonné. « 

C’est sur ce lieu béni d’Arafa que le vendredi 9 dhu-l-higga de la dixième année de l’Hégire, le Prophète (SAWS) a accompli son pèlerinage et a prononcé son Sermon d’adieu (khutbat aIwadâ) en demandant à son compagnon Rabî’a-lbn-Umayya lbn-Khalaf de transmettre ses propos (2). Le Prophète (SAWS) ordonna ensuite à Bilâl d’appeler à la prière à Namira (où se trouve actuellement la mosquée de Namira) aux limites de Arafa. Il y accomplit la prière du midi et celle qui la suit (âsr), en les réduisant à deux unités au lieu de quatre, et avec un seul appel à la prière (adhân) et deux formules de préparation à la prière (aI-iqâma). Il remonta ensuite sur sa chamelle pour se diriger vers la qibla, et se mit à invoquer, prier, adresser des demandes et présenter des louanges à Dieu jusqu’au crépuscule. Il dit alors « La meilleure parole que je vous ai transmise, moi et les Prophètes qui m’ont précédé, est… lâ ilâha illâ Allah … Il n’y a de divinité si ce n’est Allah. « 

Notes :

1) C. André. GILIS, La doctrine initiatique du pèlerinage, p.189-190

2) Le texte intégral du Sermon du Pèlerinage d’adieu