Al Marhala-r-Rabî’a : At-Tafsîr-l-Jâmid

C’est l’étape la plus longue et la moins féconde. Elle débuta au milieu, des, catastrophes, et prit fin sous la menace d’autres catastrophes : le sac de Baghdâd par les Mongols de Hulagû (656/1258) et domination de la majorité de la communauté musulmane et ses longues luttes pour sa libération du joug colonial christiano-européen. Résurgence d’une exégèse polémiste et scientifique. .

Assurément, il y a eu avant cette chute, d’autres menaces Iongues et dangeureuses comme les Croisades (489-669/1096-1270).

Mais les Croisades avaient suscité un sursaut islamique marqué par le développement. du soufisme et l’intervention victorieuse des Turcs devenus le fer de lance de l’Islâm en Afrique du Nord, en Orient et surtout en Europe centrale. Sur le plan des études et de l’évolution de l’exégèse, c’est surtout la chute de Baghdâd qüi marqua un tournant décisif. La capitale culturelle et politique de l’Islâm est transférée sous la pression des événements au Caire, et plus, tard à Constantinople, après sa prise par les Turcs en 857/1453.

Durant la même période d’autres événements de portée historique importante devaient influer directement ou indirectement non seulement sur l’exégèse coranique, mais encore sur toute la culture islamique la Renaissance européenne amorcée en Italie dès le VIII/XIVe siècle.

À la Renaissance européenne qui doit tant à la culture islamique correspond paradoxalement le début d’un long assoupissement islamique. Les bouleversements qui, sur le plan politique, philosophique, scientifique, religieux et technique devaient secouer l’Europe et l’émanciper graduellement, à compter du XIII/XVIIIe siècle, laissaient le monde musulman plongé dans un profond sommeil, intellectuellement parlant. Il y a bien eu quelques lueurs sporadiques qu’on peut noter sur le plan de la philosophie de l’histoire, à travers ’Ibn Khaldûn (808/1406) et de l’exêgèse comme :

  • ’Abu-l-Barakât-n-Nasafî (701/1323) : Madârik-t-Tanzîl. (hanafite)
  • Al-Khâzin `Alâ-d-Dîn (741/1341) : lubab-t-Ta’wil. (shafi’ite)
  • ’Abû-Hayyân-l-andalûsî-l-Gharnâtî (745/1345) : Al Bahr-l-Muhit (mâlikite)
  • Muhammad al-Kâshî (XI/XVIIe siècle) Tafsîr (imamite)
  • Miqdâd-s-Sayûri (VIII/XIVe siècle) Fî Fiqh-l-Qura’ân (imamite)
  • Shams-d-Din Yûsuf (IX/XVe siècle) Al ’Ahkâm-l-Wâdiha. (zaydite)
  • An-Naysâbûrî-Al Hasan-l-Khurâsânî (m. 727/1327) : Gharâ’ib-l-Qur’ân (shi’ite)
  • Jalâl-d-Dîn-s-Suyûtî (shâfi’ite) (m. 911/1505) : Ad-Dur-r-l-Manthûr fit-tafsîr-l-Mâ’thûr, refondu avec un autre Tafsîr de meme facture de Jalâl-d-Dîn Al Muhallie et publié sous le titre de Tafsîr-l-Jalâlayni à Damas, 1 vol. 1398/1978.

Mais ce ne sont là que des exceptions. Exceptions qui ne doivent pas faire illusion sur la torpeur intellectuelle du monde musulman, son engouement pour la magie, le merveilleux, les fables, l’irrationnel, et pour un soufisme combatif, certes, en Afrique du Nord, mais englué de plus en plus dans un maraboutisme aberrant.

L’effort intellectuel de libre recherche semble s’être atrophié, parce que les individus semblent condamnés à vivre dans une communauté figée, prisonniers, en Orient comme en Occident musulmans, du groupe dont ils font partie. Lequel groupe impose aux penseurs ses us et coutumes, ses croyances, ses mirages et leur fait accroire que les progrès réalisés en Europe, dans tous les domaines, les Musulmans les avaient déjà réalisés ; c’était à leur point de vue, du domaine du passé, « du déjà vu » et donc sans intérêt.

Ainsi endiguée dans ses possibilités créatrices, la pensée individuelle s’est, durant plus de cinq siècles maintenue, indurée, prolongée par suite des circonstances historiques dans une communauté mécanisée dans ses conceptions et ses superstitions, sans compter une pesée héréditaire non moins forte, en raison même d’une ethnicité hétérogène.

En matière d’exégèse, cette décadence se traduit par des compilations sans grand intérêt, des redites ou des plagiats sans scrupule.

L’originalité est abhorrée et dénoncée comme une innovation blâmable (bid’â),

Si, durant toute cette longue période l’instinct inventif semble brisé en milieu musulman, si la pensée rationnelle semble sclérosée, un événement exceptionnel devait constituer pour le Proche-Orient une secousse ébranlante, lourde de conséquences.

Cet événement, c’est comme on l’a dit, redit et bien souligné, la Campagne du général Bonaparte en Égypte et en Syrie, alors sous la. souveraineté, comme il l’affirmait lui-même, d’un « voisin malade » le calife-sultan turc de Constantinople. (1213/1798).