Jésus fils de Marie (’Isa B. Maryam)
C’est vers l’âge de trente ans qu’il commença son apostolat. Son enseignement et l’exemple de sa vie lui avaient attiré beaucoup de sympathie en Galilée. Une foule croissante gravitait autour de lui. L’histoire a retenu le nom de quelques-uns : Tolamaï de Cana, Matthieu, un publicain ; Thomas, Simon, le zélote Lebbée ou Thadée, Joseph Barsaba, Mathias, Judas Bensimon, Jacques et Jude, ses cousins.
Ni sa mère, ni ses frères et sœurs ne rallièrent ses rangs. Dans cette foule, Jésus avait naturellement ses préférences, en particulier pour Jacques et Jean, fils de Zébédée surnommés » fils du tonnerre » par Jésus, pour leur zèle excessif. Avec ses deux disciples et Simon Kaïfa (le futur Pierre) ils formaient une sorte de comité intime parmi ses adeptes, lesquels étaient d’une naïveté et d’une ignorance extrêmes.
Au sein de ce comité qui n’était pas hiérarchisé, la règle était de s’appeler » frère « . Jésus leur interdisait d’user du mot rabbi (maître) titre qu’il se réservait et du terme » père » par lequel il désignait Dieu. Il demeurait pratiquement chez Simon et enseignait volontiers dans la barque de celui-ci le long des rives du lac de Tibériade.
Simon Kaïfa fut le premier à reconnaître en Jésus le messie annoncé, mais pas Dieu Lui-même. A ce titre, Jésus lui reconnut une certaine primauté au sein de sa petite communauté de fidèles.
La plupart de ses disciples étaient des pêcheurs, mais aucun n’appartenait à la haute société. C’étaient tous de pauvres gens, déguenillés, mal nourris et dépouillés de tout. Leur misère était telle qu’il imposa à ses disciples de vendre leurs biens et d’en distribuer le prix entre eux et autour d’eux. C’est ce qui a amené certains auteurs à y voir une sorte de communauté communiste, calquée sur l’esprit de l’organisation des Esséniens, au sein de laquelle l’égoïsme et l’avarice étaient dénoncés comme des péchés particulièrement graves. Suivant la recommandation des Proverbes, Jésus disait : » Donner aux pauvres, c’est prêter à Dieu « . Le royaume que Jésus laissait espérer à ses adeptes était celui des humbles, des innocents, des enfants et des victimes des injustices sociales, des hérétiques, puis des païens, des samaritains.
» Les ébion (pauvres) seuls seront sauvés » disait-il. Le luxe pour lui était un crime et le miséreux, un ami de Dieu, un saint.
La pauvreté était à ses yeux, sans doute par référence à l’Ancien Testament, synonyme de douceur, de piété, tandis que la richesse était synonyme d’impiété, de méchanceté, de violence, d’injustice.
Gai par tempérament, il aimait les plaisanteries agréables et les propos familiers, mais détestait la pédanterie, le formalisme, l’hypocrisie et l’orgueil des classes possédantes.
Il parcourut ainsi la Galilée , souvent à dos de mule, répandant partout la joie. En chaque bourgade son passage donnait lieu à des manifestations joyeuses auxquelles participaient en majorité les pauvres, les femmes et les enfants, comme il vient d’être dit.
Tous croyaient à l’arrivée du nouveau royaume et chacun se voyait assis sur un trône à côté du maître. Les Chrétiens rejetteront plus tard cette conception et reprocheront à 1’Islâm, avec une assurance gratuite d’assimiler le paradis à un jardin…
Combien durèrent cette joie enivrante et l’espérance de l’accomplissement de la promesse incluse dans la » bonne nouvelle » ? Trois ans, au milieu d’une allégresse grandissante et d’une attente merveilleuse.
Son enseignement apparaît à ses débuts, comme une réforme sociale et un appel à la justice. Il ne devait pas tarder à devenir une réforme religieuse. Jérusalem lui parut la citadelle d’un Judaïsme vidé de sa substance spirituelle, orgueilleuse et dominatrice. Il décida donc de l’attaquer. Il s’y rendit avec ses disciples galiléens (fort méprisés en Judée) et fit du temple une sorte de quartier général. Il commença par reprocher aux scribes (sopher) d’en avoir fait une » caverne de voleurs « . Aussi, lui arrivait-il de passer à la violence, lui le moins violent des hommes, fouettant les marchands malhonnêtes, renversant les tables et rappelant avec véhémence aux rabbins le respect de leur charge. Lors de son dernier séjour à Jérusalem- le plus long- Jésus fut encore plus ulcéré par ce qu’il voyait autour de lui. Il se décida alors à prêcher.
Peut-être convient-il ici, de rappeler l’organisation du clergé juif d’alors ; les docteurs de la loi avaient la préséance sur le grand prêtre ou souverain pontife qui n’existait qu’à Jérusalem. Mais discréditée depuis le roi Hérode, cette haute fonction était devenue une simple charge administrative romaine. Les souverains pontifes, en général, étaient sadduki, c’est-à-dire appartenaient à cette aristocratie religieuse qui s’était formée autour de l’autel. La plus haute autorité à l’époque était Gamaliel, petit-fils du célèbre rabbin Hillel.
Réformiste au début de sa prédication, Jésus finit par devenir un révolutionnaire religieux, un » séducteur » qui voulait, aux dires du rabbinat, la destruction de la religion de Moïse. En fait le rabbinat voyait juste ; Jésus voulait substituer à la religion raciale juive, une religion universelle. Il disait : » On ne met plus le vin nouveau dans les vieilles cruches « .
La référence du sang lui paraissait un critère ethnique qu’il fallait abolir. Il ne se considérait plus comme un juif, mais comme un homme tenu de défendre le droit de tout un chacun, de proclamer le même culte pour tous, la religion de l’homme, non la religion du Juif, la religion du Cœur non la religion du formalisme coutumier.
Moïse était, selon lui, dépassé et son temple était condamné. La véritable loi de Dieu, enseignait-il, était l’amour de Dieu, la bonté envers le prochain, le pardon. On chercherait en vain dans les Evangiles une pratique spécialement recommandée, une liturgie déterminée
Le Pater et l’Ave Maria semblent de composition très postérieure. Le baptême lui paraissait un rite négligeable. Les messes spectaculaires, les processions, les cérémonies grandioses semblent à la lecture des Evangiles, complètement étrangères à la doctrine de Jésus qui n’impose même pas de règle rigide à la prière et préconisait seulement qu’elle se fit avant tout dans le cœur. Il voyait dans le sabbat une coutume tribale périmée et il le violait ostensiblement, ne tenant compte aucunement des blâmes qu’on lui adressait à ce sujet.
Il reprochait aux Pharisiens d’enchérir sur la loi, pour créer aux hommes, des occasions de pécher et de profiter ainsi matériellement de leur désir de se racheter. Sa sympathie s’étendait aux Gentils. Mais il lui arrivait de parler d’eux avec les préjugés des Juifs. Avant de commencer sa mission, il était ailé jeûner pendant quarante jours dans le désert où il eut maintes fois l’occasion de repousser les tentations de Satan. Puis, il continua à parcourir la Judée et la Galilée annonçant partout la » Bonne nouvelle « , confirmant sa mission par des miracles, rendant la vue aux aveugles, guérissant les malades, ressuscitant les morts, chassant les démons du corps des possédés, apaisant les flots, multipliant les pains et par la transformation de l’eau en vin à Kana ou Cana. C’est du moins ce que nous rapportent les Evangiles et certaines allusions coraniques.
Parmi la foule considérable qui le suivait, il choisit douze disciples qu’il chargea de la mission » d’apôtre des nations » (h awâriyyûn). Ses rapports avec les Juifs empiraient de plus en plus. On pourrait, de nos jours, expliquer tous ces conflits par des mobiles économiques, des antagonismes sociaux et la jalousie de la caste sacerdotale. Il paraît absurde en l’occurrence, de voir dans leur hostilité à son égard, une réaction bourgeoise contre les revendications d’une populace agitée.
Attachés à leur dogme et formalistes dans l’exercice de leur culte, la plupart des Juifs qui se dressèrent contre lui, et qui appartenaient à tous les milieux, voyaient en lui, uniquement, un perturbateur méprisable (essith), un transgresseur de la loi divine qui dévoyait et divisait en outre les enfants d’Israël. C’est surtout au cours du dernier séjour qu’il fit à Jérusalem qu’il les indigna le plus, au point de les exaspérer. Aussi, finirent-ils pas exiger sa mise hors d’état de nuire, par la mort, dans les plus brefs délais pour prévenir une aggravation irrémédiable du danger qui menaçait la religion des ancêtres maintenue et transmise par de fidèles et doctes rabbins. (Et là son cas est absolument analogue à celui de Muhammad dans ses démêlés avec les Qurayshites).
Beaucoup d’inexactitudes historiques se sont greffées sur cette exigence de » mise hors d’état de nuire « , proférée par les conservateurs.
Le rabbinat, gardien de la loi mosaïque, agissant dans le cadre de ses prérogatives et en vertu du statut octroyé par Rome au Judaïsme, décida de le juger. Il le fit condamner à la peine capitale, par un tribunal régulièrement constitué et mit le procurateur Ponce Pilate en demeure d’exécuter d’urgence sa sentence. La procédure suivie est mentionnée dans le Talmud de Jérusalem et dans celui de Babylone.
On se reportera à ces sources qui ne concordent pas toujours avec les sources islamiques qu’il est temps d’exposer, pour dégager la personnalité de ce Prophète de Dieu, des légendes, des fables et des faux témoignages qu’on a forgés autour de son nom, de sa mission, de sa doctrine et de sa spiritualité.
Selon la thèse musulmane, Jésus ne fut pas supplicié lui-même. Il s’agit d’une crucifixion apparente, car Dieu l’avait rappelé à Lui. Mais examinons d’abord, et en détail le point de vue des auteurs musulmans. Jésus est désigné sous le nom de ’Isâ.
Selon le commentateur al-Baydâwi, ce nom serait une arabisation du mot syriaque Yashû’. Le mot est effectivement d’origine syriaque, mais il existe en arabe comme nom commun et signifie blancheur rosée. Habituellement, Jésus, dans le Coran est désigné sous le nom de » Jésus fils de Marie « . L’expression » le fils de Marie » se retrouve dans Marc, Matthieu.
C’est seulement dans Luc et Jean qu’on trouve l’expression » fils de Joseph », ce qui est pour l’Islam un blasphème.
Dans le Talmud, la formule est identique : Ben Yûsef.
Contrairement au Coran, le quatrième Evangile n’appelle jamais la mère de Jésus par son nom. L’expression » fils de la femme » ne se retrouve qu’une fois dans le livre d’Hénoch. On sait que Jésus marquait sa préférence pour l’appellation » fils de l’homme » qui revient près de quatre vingt-trois fois dans les quatre Evangiles et toujours dans le discours de Jésus, dans le sens » je » pronom dont il évitait de se servir.
La réaction des Mekkois fut extrêmement violente quand Muhammad questionné, déclara Jésus supérieur aux idoles qurayshites. Leur indignation montre à quel point ce milieu était hostile au Christianisme. Selon une autre opinion, les Qurayshites étaient d’autant plus outrés qu’ils soupçonnaient Muhammad de chercher à les amener peu à peu à renoncer à leurs idoles pour l’adorer lui-même à leur place, comme les Chrétiens adoraient Jésus.
L’histoire de Jésus et ses premiers aphorismes demeure pour les Musulmans, malgré tout ce qu’on a pu écrire là-dessus, fragmentaire et d’une authenticité relative. Sa biographie et la sagesse qu’il enseigna au début de son apostolat sont rapportées sous forme de récits épars et sans chronologie. Mais, selon le Coran, la première grande idée qu’il enseigna, non seulement au milieu juif, mais au monde entier, c’est celle de l’amour de Dieu, idée dont son âme vibrait et qui, à bien des égards, apparaît comme l’axe de son être tout entier : un Dieu unique, en dehors duquel il n’y a aucune divinité, le Dieu de Moïse, d’Abraham, d’Jsaac, de Jacob (et plus tard de Muhammad).
Or, cette affirmation est celle de toute une lignée de Prophètes, non d’un visionnaire ou d’un philosophe. Ce n’est ni le dieu de Çakyamuni, ni celui de Platon. Jésus parle de Dieu non comme d’une réalité en dehors de lui, mais en lui. Il tire de son cœur, de son amour tout ce qu’il dit de Lui. Mais à aucun moment, selon les textes islamiques, il n’affirme qu’il était lui-même Dieu ou fils de Dieu. Ce qu’il enseigne c’est précisément cette sagesse qu’il puise dans son existence en Dieu, non en panthéiste, mais en tant que Prophète d’une nature particulière en communication mystérieuse avec Dieu.
Et cela est si vrai que l’enseignement qu’il voulait inculquer à ses disciples ne procède nullement du raisonnement mais d’une voix intérieure, d’un amour qui est en lui-même, la lumière ineffable de Dieu reflétée par un cœur passionné. Il ne raisonne pas, ne cherche pas apparemment à convaincre, mais à se précher lui-même, à irradier l’élan de son moi conscient vers Dieu, la grâce luminescente dont il était nimbé. D’où la formule » mon père « , appellation familière et courante chez les Juifs, exprimant la vénération, la tendresse, la reconnaissance et l’imploration de la grâce divine. Les Chrétiens n’ont pas toujours saisi la véritable signification de cette expression à notre point de vue musulman – à la suite des spéculations de ces raisonneurs impénitents qu’étaient les docteurs grecs, premiers interprètes de la vie et de la pensée de Jésus et des dissertations filandreuses de la scolastique médiévale, surchargée de mythes, de superstitions, de subtilités, de mystères inutiles et de contradictions.
Tout en étant conscients que Jésus avait pour mission de prêcher les hommes et donc de son rôle de Messager de Dieu, ils ont osé le métamorphoser et persistent à le diviniser. Divinisation singulière en vérité, car il est qualifié de » verbe de Dieu », » esprit de Dieu », » fils de Dieu », » Dieu Lui-même » sans qu’il soit précisé s’il s’agit d’une ipséité originelle ou d’une gradation élaborée. A cette démesure attributive, le Coran oppose » Gloire à Dieu ! Il est au-dessus de leurs descriptions ! « .
Les Juifs ont, certes, commis une grave erreur à l’égard de Jésus. Ils ont obtenu sa condamnation à mort. Jésus les a néanmoins excusés et a prié pour eux : » Pardonnez-leur, Seigneur ! Ils ne savent pas ». Mais, qu’à cela ne tienne ! L’Eglise les a déclarés » déicides » ( ! ?!) et l’histoire a retenu ce qu’une telle sentence a coûté comme souffrance, injustice et humiliation, au peuple même dont Jésus était issu.
Dieu selon Jésus n’est pas celui d’un peuple, mais celui de l’humanité entière. Il n’est pas celui des Maccabées, mais celui de tous les hommes, celui d’Abraham, qui avait fui Ur, sa ville natale et le royaume de Babylone, à la recherche d’un autre royaume où la justice règne, où Dieu est véritablement adoré et Son Nom universellement béni. Ce royaume, Jésus le formule plus nettement, le spiritualise et en fait une suprême consolation : » le Royaume de Dieu « , expression qui revient à chaque page des synoptiques, des Actes des Apôtres et dont on trouve déjà les prémices dans le livre de Daniel et plus tard dans le Coran.
La doctrine qu’il prêche ne se confond pas avec le Judaïsme traditionnel, mais s’offre à tous les hommes de bonne volonté, sans distinction, Jésus les convie à se retrouver dans ce » Royaume de Grâce « , à en faire un suprême refuge, une ultime espérance, un asile d’éternelle durée pour les saints. Cette notion de Royaume de Dieu n’est pas absente dans le Coran. Plus d’un passage l’atteste : » Béni soit Celui à qui appartient le royaume des cieux, de la terre et de ce qui est entre eux, qui détient la science de l’heure et vers qui vous serez ramenés « . Et ce royaume est à la base même de cette haute sagesse de l’Oint (Masîh). Sagesse à laquelle le Coran fait maintes fois allusion, puisqu’il le reprend et l’assortit d’une condition fondamentale :
le don de soi à Dieu (Islâm), l’abandon confiant en Sa souveraine volonté (tawakkul), le mépris du monde (rnatâ ’u-d-dunyâ qalîl. En cela elle ne diffère pas de la sagesse juive telle qu’elle apparaît dans la Thora , la riche littérature proverbiale et les sentences des docteurs de la loi mosaïque.
Selon les Logia de saint Matthieu, les aphorismes de Jésus ne diffèrent pas fondamentalement et à première vue, de cet enseignement de la synagogue relatif à la pratique de la vertu sous ses diverses formes et au respect des rites. Cependant, la sagesse de Jésus présente une exigence nouvelle : le surpassement qui conduit à la perfection. Le culte qu’il prêche est pur, sans prêtres et sans pratiques extérieures ostentatoires, ni manifestations spectaculaires. Il est fondé sur la réalisation en soi des attributs divins. Cette spiritualité s’exprime à l’égard du monde sous forme d’un dédain plein d’ironie : » A César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! « . La même doctrine est rappelée presqu’intégralement par le Coran avec plus d’insistance et autant de clarté.
Elle est fondée sur un amour brûlant qui exige des sacrifices à tout instant et ne recule devant aucun obstacle. L’obéissance fut plutôt sollicitée qu’exigée par Jésus, qui était d’une douceur exemplaire. Rien n’est plus édifiant à cet égard que sa rencontre avec un homme assis au lieu des péages et qui s’appelait Mathieu. Il lui dit : » suis-moi « , « cet homme se leva et le suivit ». Cet impératif est trop brutal dans les langues européennes. Transposé en araméen, il implique une amitié spontanée offerte, méritant une totale confiance.
Ceux qui s’opposèrent, dès le début, à sa prédication furent ses concitoyens de Nazareth qui voulurent le tuer en le précipitant d’un sommet escarpé. Les sources chrétiennes font état d’une singulière opposition entre Jésus et sa famille – du moins selon un passage diversement traduit du grec et que l’Islâm considère comme apocryphe – aux yeux de laquelle il n’aurait été qu’un rêveur exalté qu’il fallait arrêter.
Au fur et à mesure que son apostolat se déployait et que ses disciples augmentaient, ses ennemis se multipliaient. Antipas est dénoncé comme un ennemi déclaré, en plusieurs passages de l’Evangile. La même hostilité se manifeste contre lui, contre son enseignement et contre ses disciples, à divers moments et en diverses bourgades voisines du lac de Tibériade, notamment à Chorezin, à Bethsaïde, à Capharnaum. Mais l’obstacle le plus dur auquel se heurta Jésus fut l’opposition des Pharisiens, c’est-à-dire l’orthodoxie judaïque la plus intraitable.
Les historiens et les théologiens n’ont pas trouvé de mots assez expressifs pour qualifier les Pharisiens. Pour eux, c’étaient des hypocrites, des scélérats, une bande de criminels bouffis d’orgueil, jaloux de leurs prérogatives, soucieux de leurs intérêts, de faux dévôts qui donnaient à l’ostentation le pas sur la sincérité discrète dans la pratique du culte, etc…
La réalité est peut-être différente. Une telle diffamation est certainement gratuite. Ils étaient les gardiens de la loi et ils ne pouvaient agir qu’en gardiens vigilants, scrupuleux et fidèles de la doctrine de Moïse. Historiquement, leur apparition dans le monde religieux juif date de la captivité de Babylone. Ils n’étaient ni hypocrites, ni affairistes, mais partisans de la tradition orale. Ils reprochaient aux Sadducéens, leurs rivaux d’innover, de négliger les pratiques transmises oralement depuis l’époque des grands Prophètes. Ils entendaient, selon leur expression, constituer » une haie autour de la loi « . Ils sont à l’origine de la composition du Talmud – ce qu’il ne faudrait tout de même pas oublier – et leur intransigeance sur l’observance de la tradition, leur a valu parfois des déboires. A l’époque d’Alexandre Jannée, lorsqu’un conflit éclata entre eux et le grand prêtre Hyrcan devenu sadducéen (135 av. J-C), ils eurent à subir les pires persécutions. Jamais ils n’ont par ailleurs, accepté de prêter serment de fidélité aux souverains romains. Ils restaient très près du peuple au milieu duquel ils passaient leur vie, alors que l’aristocratie religieuse officielle était pro-romaine et servait volontiers les intérêts de l’occupant.
Jésus, en s’en prenant à leur » formalisme » s’attaquait à une vieille forteresse, gardienne respectable du dogme et des rites ancestraux. Leur attitude est en elle-même louable. L’esprit moderne est friand de slogans et des formules creuses ; on lui présente les Pharisiens comme des » exploiteurs du peuple, des conservateurs ennemis du progrès ». On oublie de dire que les Sadducéens étaient les représentants d’une élite bourgeoise et des progressistes au sentiment religieux assez lâche. En fait les Pharisiens étaient des traditionalistes qui n’étaient nullement hostiles au progrès puisqu’ils admettaient l’interprétation continue de la loi et ne refusaient pas à l’occasion, de discuter les théories zoroastriennes et celle de la métempsychose. On peut dire sans exagérer que c’est grâce à eux que le Judaïsme s’est maintenu dans sa véritable doctrine et ses rites. Le terme pharisien lui-même est édifiant à cet égard. Participe actif de première forme du syriaque Pharish (devenu en grec pharisios et en latin pharisaeus) il signifie distingué. Ils se distinguaient, en effet, par leurs vêtements et leur rigorisme. Et c’est à ce rigorisme doctrinal, qui n’avait rien d’hypocrite, que s’est heurté Jésus. Leur hostilité était, au demeurant, tout à fait partagée par le rabbinat officiel.
Notre siècle est également épris de paradoxes. On a voulu procéder à une révision du procès de Jésus… d’après le droit français, en oubliant que Jésus était passible des dispositions de la loi de son pays et de sa communauté et donc de la loi juive ! Ces fantaisistes devraient, s’ils sont de bonne foi, se poser cette question : quel aréopage responsable de l’existence et du devenir d’une religion aurait relaxé Jésus qui, par son enseignement doctrinal, était décidé à saper les principes de base (alliance) de cette religion et à supprimer son culte ?
Et pour revenir au conflit opposant Jésus aux Pharisiens disons qu’ils étaient devenus exagérément rigoristes sur les lois et les rites, sectaires dans leur fidélité à la lettre et non à l’esprit de la Thora , ultra-formalistes et finalement plus attachés aux pratiques extérieures qu’au fond de l’enseignement reçu. C’étaient eux qui sur le plan de l’opinion publique donnaient le ton, laquelle opinion ne les ménageait pas, en leur décernant des sobriquets péjoratifs pour caricaturer leur dévotion publicitaire et le ridicule de leur comportement : nikfi (traîne-savates), hizaï (front sanglant), médulia (manche de pilon), shikmi (dos voûté), etc…
L’antipathie réciproque qui sépare les Parisiens et Jésus, du moins au début, doit donc être recherchée avant tout dans une différence de conception de la vie religieuse : pour Jésus, la religion était un éternel amour, une soumission à Dieu par le cœur. Pour les Pharisiens, la religion consistait en une observance scrupuleuse de la loi mosaïque, ce qui n’interdisait nullement de l’approfondir dans son cadre. Autant dire une antipathie opposant un prédicateur qui donne la primauté à l’esprit sur la lettre, au fond sur la forme d’une doctrine monothéiste, à des docteurs trop attachés aux détails rituels et à la connaissance intellectuelle de la même doctrine. L’unicité de Dieu ne semble pas avoir été mise en cause. Pour Moïse, comme plus tard pour Muhammad, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre divinité que Lui ; Il est unique. Or, Jésus n’enseigne rien de plus sur ce plan particulier. Dans sa controverse avec les Saddukéens, il proclame hautement comme base de tous les commandements : » que le Seigneur, notre Seigneur est l’unique Seigneur « , et il ajoute : » Tu l’aimeras de tout ton coeur… il n’y a point d’autre Dieu que Lui… aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices « . L’affirmation de l’identité du message communiqué à tous les Prophètes de Dieu notamment Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Muhammad est, comme nous l’avons plusieurs fois répété, ainsi affirmé avec une netteté qui exclut toute divergence entre l’enseignement des Prophètes, et surtout la conception de la déité du Christ.
On pourrait s’étonner de ce qu’il y a de contradictoire dans les imprécations attribuées à Jésus qui avait une prédilection particulière pour la douceur, recommandait le pardon et croyait à l’efficience de la résistance passive. Ces imprécations qui débutent par » Malheur à… » sont dans les Evangiles. Elles ne sont en elles-mêmes que des avertissements qu’on retrouve d’ailleurs dans le Coran. Leur signification réelle est : » Attention, Prenez garde ! ou encore » Méfiez-vous ! « .
En conclusion, Jésus pour l’Islâm, est un pilier de la prophétie. Il s’acquitta de sa mission suivant la volonté de Dieu dans la fidélité, la souffrance et l’amour. Avant d’être rappelé à Lui il annonça à ses disciples la venue du Messager de l’Islâm qui devait renouveler pour l’humanité entière, l’éternel message de Dieu et clore la prophétie, Muhammad (Dieu répande Ses bénédictions sur lui) :
» Maintenant je retourne à Dieu qui m’a envoyé et aucun de vous ne me demande : où vas-tu ? Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli vos cœurs. Cependant, je vous dis la vérité. Il vous est avantageux que je m en aille, car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas. Quand il viendra il confondra le monde en matière de péchés, de justice et de jugement. Il vous conduira vers la vérité tout entière, car il ne parlera pas de lui, il dira tout ce qu’il aura entendu. Il vous annoncera des choses à venir.
Pour Jésus, fils de Marie, la prophétie n’était pas clôturée quoi qu’en disent les Chrétiens.