Abraham (Ibrahim)

L’histoire d’Abraham est riche en événement historiques et en leçons de spiritualité et de morale. De sa longue biographie nous mettrons seulement en relief quelques faits saillants.

D’abord Abraham n’était pas juif.

Natif d’Ur, il était babylonien, de race sémitique, mais non spécifiquement juive. Son père, choqué par son monothéisme, le dénonce à Nemrod qui, comme lui, pratiquait une religion (astrolâtrie) tout à fait différente du Judaïsme. D’autant plus différente que le Judaïsme est postérieur à son époque et qu’alors l’appartenance à une confession se confondait avec l’appartenance à une ethnie.

Les tribulations d’Abraham à travers le Proche-Orient (Mésopotamie, Syrie, Egypte) ne sauraient en faire un mythe, ni lui attribuer une origine qui n’était pas la sienne. Le grand rabbin Jaïs, de Paris à qui nous nous sommes adressés pour connaître l’opinion officielle du Rabbinat sur l’origine ethnique d’Abraham nous a loyalement affirmé que sur ce point le Judaïsme et l’Islam sont d’accord : Abraham n’était pas juif.

Sur l’étymologie du mot Abraham, quelques remarques s’imposent : selon les données mêmes de la Bible , Abraham portait primitivement le nom d’Abram qui signifie « bien né, noble », ou encore « le père des Araméens ». Sur l’ordre de Dieu, l’illustre patriarche prit le nom d’Abraham (déformation dialectale de l’araméen Ab Hamôn) qui signifie « le meilleur de tous » ou encore « le père » spirituel des peuples monothéistes. C’est dans ce sens que le Coran s’exprime « Votre père Abraham qui vous a donné le nom de Musulmans ».

Remarquons toutefois qu’en sémitique commun, le terme Abram signifie importun, tordu et le terme Abraham (en éthiopien Abraha) signifie blanc, pur. Selon nous Abraham signifie  » Blanc « , tout le reste n’est qu’appellatifs métaphoriques. (Mais Dieu en est mieux informé : Allahu ’a’lamu).

Les trois religions monothéistes (Judaïsme, Christianisme, Islâm) se réclament à juste titre d’Abraham et le considèrent comme le modèle parfait du monothéiste. Mais elles divergent sur son rôle, sa généalogie et sa première descendance. Aussi convient-il de préciser ce que l’Islâm enseigne à ce sujet et d’examiner les opinions émises par le bon nombre de sémitisants et d’arabisants, à propos de certains passages coraniques et des traditions musulmanes qui le concernent.

Certains spécialistes modernes des études sémitiques bouleversent toutes les données traditionnelles du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam et mettent en cause leur prophétologie.

Leur hypercritique fait des patriarches bibliques, en particulier d’Abraham, une fiction rappelant des lieux de culte, des rites, des héros légendaires, en un mot des mythes lunaires antérieurs à l’arrivée d’Israël en Palestine.

Cette thèse qui remonte à Renan, a évolué dans ses nuances, mettant aux prises les sémitisants en d’âpres controverses, lorsque les documents de Ras Shamra vinrent reposer la question dans toute son ampleur et la remettre sur le plan de l’actualité scientifique.

Il est clair qu’il ne peut être question de reprendre ici le débat, ni de porter un jugement de valeur sur ces références. Qu’il suffise de rappeler que pour l’Islam, Abraham est l’emblême même de la prophétie. Son existence et son apostolat ne relèvent ni des fables, ni des fictions. C’est un personnage historique ; son message révélé est un appel solennel au monothéisme et une dénonciation de l’idolâtrie.

A quelle époque vivait Abraham ? Sur ce point les sources juives comme les sources musulmanes sont incertaines, contradictoires et souvent invraisemblables. Selon les unes et les autres, Abraham serait né en 1263 après le déluge, descendant par Sem de Noé, à la dixième génération. Il mourut à l’âge de 175 ans, selon les chiffres toujours exagérés de la Bible , et est enterré à Hébron, bourgade de l’actuelle Jordanie, devenue depuis un lieu de pieuses visites. D’après l’ère chrétienne, il aurait vécu à une date difficile à préciser, mais qu’on pourrait situer autour de l’an 2000 avant Jésus-Christ.

Sa naissance en un pays où régnait l’astrolâtrie, présente quelques analogies avec celle de Moïse et le fait, en lui-même, est assez troublant. Lui aussi est né en une ville (Ur) à un moment où, à la suite d’un rêve annonciateur de malheurs, le roi local Nemrod constructeur de la légendaire Tour de Babel, avait ordonné de mettre à mort tous les nouveau-nés, comme le pharaon plus tard, à la suite d’un songe annonciateur de la naissance de Moïse.

Sa mère le mit au monde dans une grotte et c’est là qu’il resta caché jusqu’au jour où malgré son jeune âge il se mit à méditer sur l’origine et le devenir du monde. Il ne tarda pas, la grâce divine aidant, à lui attribuer un sens et un créateur qu’il se fit un devoir de découvrir et de connaître.

Son peuple adorait les astres. Il refusa de prendre pour de véritables divinités le soleil, la lune, un être quelconque ou un objet  » voué à disparaître « . Pour lui, Dieu ne peut être que présent partout et en tout temps.

Sa recherche et sa découverte ont un sens profond : l’homme de par sa nature, est toujours en quête d’un dieu. De par lui-même il est incapable de le rencontrer et s’égare bien souvent. Malgré son effort et sa volonté, il ne peut parvenir à son but que si Dieu Lui-même se révèle à lui. Infini dans ses vœux, mais borné dans sa nature, il ne peut, sans la grâce divine accéder à l’absolu. Tout autre moyen n’est qu’erreur et illusion. L’effort personnel est méritoire, mais son succès dépend de cette grâce qui fait d’Abraham un  » khalîl « , un homme sincèrement épris de Dieu.

A l’âge de douze ans, il quitta sa grotte et se rendit chez ses parents qui le reçurent avec joie et affection. Il ne tarda cependant pas à être choqué par les croyances des idolâtres, à commencer par celles de son père. Aussi prit-il la résolution de les combattre et de faire prévaloir le culte du seul vrai Dieu.

On organisait, en Babylonie d’alors, un pèlerinage annuel sous l’égide du souverain. Il se déroulait dans le désert et donnait lieu à de grandes démonstrations de piété et d’allégresse. Le culte comportait une procession entre deux rangées de statues de divinités alignées par ordre de taille de part et d’autre du chemin que le cortège devait suivre, avant d’arriver au temple principal, comme les béliers ou les lions devant les temples pharaoniques de Thèbes qui sont à peu près de la même époque. Juste à l’entrée de celui-ci était dressée une statue, la plus grande de toutes. Elle était en or et représentait probablement Marduk ou Ea  » Ses yeux étaient figurés par deux pierres précieuses qui scintillaient dans la nuit « .

Devant ces statues, les pèlerins déposaient les mets qu’ils apportaient en offrande, avant d’entrer au temple. La cérémonie terminée, ils sortaient du temple, faisaient le tour des idoles pour les invoquer et se retrouvaient tous autour de celle dont il vient d’être question, qui était la principale, c’est-à-dire commune à tous. Ils lui adressaient des prières puis prenaient le chemin du retour. A ces cérémonies tout le monde devait être présent, sauf les malades, les impotents et tous ceux qui pour une raison valable ne pouvaient s’y rendre.

Abraham avait dix-sept ans quand il dut participer à l’un de ces pèlerinages. Il lui répugnait de pratiquer l’idolâtrie, à l’instar de ses concitoyens. Prétextant avoir mal au pied, il s’arrêta aux approches du sanctuaire, jurant de faire un mauvais sort à une telle débauche de statues qui constituaient à ses yeux des blasphèmes contre l’unique vrai Dieu. Ces menaces, proférées à part-soi, furent néanmoins entendues par quelques pèlerins retardataires qui s’empressèrent d’en faire état, lorsqu’à leur sortie du temple et au comble de l’indignation, les Babyloniens constatèrent la destruction de leurs idoles.

Ils décidèrent de le livrer au bûcher. Mais il en sortit indemne à leur grande stupéfaction.

Après avoir fait œuvre d’iconoclaste en Babylonie, il quitta Ur sur ordre de Dieu avec sa femme Sara (une demi-sœur selon certaines sources, sa nièce selon d’autres) et son neveu Loth, pour se rendre tour à tour en Syrie, en Palestine, en passant par Hurân, Sichem, Bethel, Negeb, construisant partout des autels, avant de se rendre, à la suite d’une grande famine, en Egypte, où il demeura quelque temps profitant des largesses du pharaon ébloui par la beauté de Sara qu’Abraham aurait fait prudemment passer pour sa sœur. Là, il épouse, en raison de son célibat fictif et de ses bonnes relations avec la cour royale, une fille d’une famille égyptienne honorable, Hagar, que les faussaires de la Bible traitent tantôt de servante, tantôt d’esclave.

Lorsque le pharaon découvre le subterfuge, il lui fait des reproches et lui ordonne de quitter le pays. C’est alors qu’il se rend en Palestine et se fixe dans le pays de Cana’ân, après s’être séparé de son neveu Loth, lequel s’établit dans la riche plaine du Jourdain, non loin de Sodome.

Au pays Cana’ân, l’agitation et les conflits tribaux sont à l’état endémique. C’est au cours de son séjour dans la région de Chène et de Siddim, qu’il s’allie avec Mamoé et ses frères Eskhol et Anar pour soutenir des guerres contre divers potentats locaux, notamment Kedur Laomer qu’il défait à Shoba, au nord de Damas. C’est également au cours de la même période que se place sa rencontre avec Melchisedec, roi de Shalem et que date la création des  » sept puits  » dont l’un subsiste encore près de la bourgade de même nom, Bersabée (Bîrsab’a) ou Beershabe dans le désert de la Palestine actuelle, ainsi que son séjour à Girar, dans le Negeb, ses rapports avec le roi Abimelek, la naissance de son fils Ismaël dont la mère était l’égyptienne Hagar, et quatorze ans plus tard celle d’Isaac dont la mère était Saray, primitivement appelée Sara.

Nous reviendrons plus loin sur les démêlés de Hagar avec Saray et sur son expulsion du domicile conjugal avec son fils Ismaël.

Notons que Saray dont Abraham aurait, selon les sources juives, commercialisé, en territoire philistin comme en Egypte, la grande beauté, en troquant complaisamment ses charmes contre les faveurs des souverains dont il escomptait la bienveillance (Pharaon, Abimelek) donna naissance à Isaac à l’âge de quatre-vingt-dix ans ! Une fécondité aussi tardive bouleverse évidemment les lois de la nature. Mais les légendes immorales, les invraisemblances et les niaiseries de la Bible doivent être sinon acceptées, du moins jugées de bon cœur et avec une indulgence souriante. Quoi qu’il en soit, après la mort de Saray, Abraham épouse Qetura dont il eut plusieurs enfants : Zimrân, Yaqshân, Medân, Madyân, Ishbâq et Shuân qu’il aurait tous déshérités au profit d’Isaac !

Enfin, à la même époque se situe la destruction de Sodome et Gomorrhe et l’égarement de Loth avec ses filles.

Sur tous ces faits, les sources musulmanes ne s’écartent guère des sources juives. Il est cependant quelques points sur lesquels leur différence est radicale, à commencer par la question de la circoncision que le Judaïsme tient pour un signe d’alliance avec Dieu. L’Islam rejette comme grossièrement naïve et prétentieuse toute idée d’alliance avec Dieu fondée sur l’écoulement du sang des parties génitales et ne voit dans ce rite qu’une opération hygiénique doublée d’un symbole distinctif, comme on le verra plus loin au chapitre de la purification.

Autre divergence avec le Judaïsme à propos d’Abraham : l’épreuve de l’immolation.

Pour prouver sa soumission, Abraham se vit dans l’obligation de sacrifier l’un de ses fils. Lequel ?

Selon la Genèse , le  » candidat  » à l’immolation était Isaac. Selon la thèse musulmane, il s’agit d’Ismaël. Les sémitisants tiennent les chapitres XIV à XX de la Genèse comme tardivement remaniés et  » harmonisés « . Les auteurs vont plus loin : ils ont souligné cette falsification et considèrent, en outre, les chapitres suivants surtout le chapitre XXII, comme transformés et pratiquement vidés de leur substance, à cause des compilateurs tardifs des traditions juives qui se sont évertués, en arrangeant les textes à leur manière, à faire d’Isaac et de son fils Jacob les seuls dépositaires de la révélation et les seuls fondateurs du culte. Pour rendre cohérente la narration biblique et leur conception de la prophétie comme un privilège exclusif d’Israël, ils ont modifié le Texte sacré et substitué Isaac à Ismaël.

Certains chercheurs, même juifs, n’hésitent pas à écrire :  » On constate que dans la narration organisée, la plupart des actes de filiation d’Isaac et de Jacob ont été dédoublés par attribution artificielle et supplémentaire une première fois au grand ancêtre initial…l’alignement généalogique des personnages patriarcaux a eu pour conséquence, en outre, de rendre nécessaires des modifications dans le détail à l’ordonnance des légendes auparavant indépendantes, car il fallait harmoniser les récits et dans l’histoire suivie, les coudre en bonnes conditions de jonction narrative « .

Sur cette substitution, le point de vue de l’Islam mérite d’être connu. Abraham eut deux garçons : Ismaël (l’aîné, fruit de son union avec Hagar) et Isaac dont la mère était Saray. Au cours de son apostolat, Abraham fut mis à rude épreuve : le sacrifice de l’un de ses deux fils.

Ayant donné toute la mesure de sa soumission à Dieu, il fut miraculeusement arrêté dans son geste et l’immolation n’eut pas lieu. Mais lequel, encore une fois, de ses deux fils devait être sacrifié (zabîh) : Ismaël ou Isaac ? La réponse à cette question met en cause certaines positions doctrinales et il importe d’examiner sans parti-pris la question dans le cadre des sources judéo-islamiques, non dans celui des hypothèses des sémitisants (Dussaud, Ed. Meyer, B. Luther, Winkler, Virolleaud, Lods, T. Böhl, Stade, Loisy, etc.) selon lesquelles Abraham ferait partie des mythes grâce auxquels s’explique le passage du culte lunaire de la Mésopotamie au pays de Cana’ân, car cela nous entraînerait trop loin de nos présentes préoccupations.

Elle a été examinée par divers auteurs musulmans. Malheureusement beaucoup d’orientalistes, en raison d’une prévention chronique, suspectent a priori l’apport des Musulmans dans ce domaine. Ce préjugé défavorable dénoncé déjà par le regretté Louis Massignon, a amené quelques-uns d’entre eux, à propos du point de vue de l’Islam sur Abraham, à des conclusions discutables. I. Goldziher soutient que le zabîh était Isaac, non Ismaël. L’abbé Yves Moubarac souscrit docilement à cette hypothèse. L’un et l’autre entendent ainsi mettre en doute tout ce que la Tradition musulmane rapporte au sujet de la construction de la Ka’ba et du drame de Hagar. De là à réduire à néant la signification du pèlerinage canonique et la valeur spirituelle que perpétue pour l’Islam le sacrifice d’Ismaël, il n’y a qu’un pas. Pas franchi allègrement par l’abbé Y.Moubarac qui voit dans la conception musulmane du zabîh, deux périodes. Selon lui, le Coran serait imprécis sur la question et les premières générations de Musulmans auraient vu en Isaac le fils porté à l’immolation. Ce serait seulement à partir du règne de ’Umar b. ’Abd-l-’Azîz qu’Ismaël aurait été substitué à Isaac, dans la version islamique.

Or, il est malhonnête de tirer une conclusion en faveur de la tentative d’immolation d’Isaac en invoquant le Coran. En fait, on peut relever dans la Vulgate de l’Islam, ce verset :  » Nous avons reçu d’Abraham et d’Ismaël l’engagement de purifier Mon Temple à l’intention de ceux qui [viendront] tourner autour, y faire une retraite, s’incliner et se prosterner « . Il s’agit dans le Coran d’Ismaël et non d’Isaac, du Temple de la Ka’ba , de la circumambulation, rite important du pèlerinage lié au jet symbolique de pierres, de Minâ, que domine le mont où se place l’événement et de l’intention d’Abraham d’immoler son fils Ismaël à Dieu. Telle est l’opinion finale des auteurs musulmans à la lumière du Coran, de la Sunna et de l’information historique. C’est ainsi que l’historien et biographe, ’Abû-l-Fidâ’ écrit dans sa biographie bien connue du Prophète :  » Dieu a annoncé la bonne nouvelle, à Abraham, de la naissance d’un tendre enfant qui était Ismaël ; c’était son premier enfant ; le patriarche avait alors quatre vingt-dix ans « . C’est là un fait qui ne soulève aucune discussion entre les adeptes des différentes confessions : Ismaël était son fils aîné et le premier de sa postérité.

Faire dire aux sources musulmanes et en particulier au Coran, ce qu’elles n’ont jamais dit, c’est se montrer un faussaire avéré, un menteur. Assurément le texte biblique place le lieu de l’immolation à Marijja, nom inconnu qu’une tradition tardive hébraïque identifie avec la colline sur laquelle fut construit le temple de Jérusalem. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur cette identification. La tradition samaritaine y voit le Garizim et la tradition chrétienne le mont du Calvaire.

Il est, par ailleurs, absolument inexact, que la conception des  » générations musulmanes  » ait varié au sujet de l’identité de celui des fils d’Abraham offert en holocauste par soumission à Dieu, et il est étonnant de constater qu’un homme d’église comme l’abbé Y. Moubarac se soit mépris à ce point sur les sources islamiques. Il n’y a eu à vrai dire aucune évolution dans les idées des  » générations musulmanes  » sur ce problème, mais deux courants parallèles chez les tout premiers compagnons du Prophète.

Dès le début de l’Islam, deux traditions concomitantes relatives au z’abîh se sont manifestées et opposées. L’une militant en faveur d’Isaac, rapportée par ’Ikrima et ’Abd-l-Lah b. Mas’ûd, compte parmi ses partisans, des compagnons de renom comme ’Umar b.-l-Khattâb et ’Ali. Elle s’appuie sur la S. XXXVII , 101, qui fait état de l’annonce faite à Saray de la naissance d’un fils, annonce qui militerait en faveur de l’immolation d’Isaac. La seconde rapportée par l’une des plus grandes autorités traditionnistes de l’Islam, Ibn ’Abbas, soutient que le z’abih était Ismaël.

Examinant la même référence coranique, Ibn ’Abbâs et ceux qui tiennent pour infondée l’opinion selon laquelle il s’agirait d’Isaac, font observer que le verset invoqué et les suivants ne prouvent rien et peuvent militer en faveur d’Isaac comme en faveur d’Ismaël. Ils font également remarquer que le Prophète disait, non sans fierté, qu’il  » descendait  » de deux personnes choisies pour l’immolation, faisant ainsi allusion à son père ’Abd-l-Lah qui faillit être sacrifié, et à son ancêtre Ismaël qui, bien avant le premier avait failli subir le même sort. L’ordre d’immolation donné à Abraham date d’avant la naissance d’Isaac et alors qu’Ismaël était déjà un garçon. Il ne pouvait concerner que ce dernier. Il est clair que dans la sourate XXXVII, la naissance du premier-né (Ismaël) d’Abraham et le récit de l’immolation (v. 101-106) sont placés avant la naissance d’Isaac (v. 112). Au surplus, à l’époque du calife ’umayyade ’Umar b. ’Abd-l-Azîz, les docteurs juifs convertis à l’Islam convenaient que le zabîh était Ismaël, non Isaac.

La version biblique, dans son état actuel, relate ainsi l’événement :  » Après ces choses, Dieu mit Abraham à l’épreuve et lui dit :  » Abraham « et il répondît :  » Me voici ! « , Dieu dit :  » Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t-en au pays de Marijja et offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai « . Or, il n’est pas dit dans la Bible  » tu prendras « , mais  » prends  » et le texte précise  » ton fils unique « . Il s’agit bien d’Ismaël puisqu’il l’était, et ce, jusqu’à la naissance d’Isaac, quatorze ans après la sienne. A aucun moment Isaac n’a été fils unique, alors qu’Ismaël le fut, et donc le qualificatif ne peut s’appliquer qu’à lui, à moins de suspecter (ce qui serait contraire aux faits et à l’enseignement de la Bible ), la filiation d’Ismaël. Or, selon la Bible , Ismaël est annoncé et béni par Dieu :  » Hagar enceinte, chassée par Saray, l’ange du Seigneur la rencontra près d’une source au désert et lui dit :  » Je multiplierai beaucoup ta descendance tellement qu’on ne pourra pas la compter… Tu es enceinte et tu enfanteras un fils et tu lui donneras le nom d’Ismaël, car Yahvé a entendu ta détresse « .

En fait, c’est Abraham qui lui donne le nom d’Ismaël (Shamaël), (Ishma’ël) selon la volonté de Dieu. Le texte devient clair, s’il est ainsi rétabli :  » Prend ton fils Ismaël, ton unique fils que tu aimes, etc « . Il s’avère non moins évident, à l’analyse serrée de la narration biblique, qu’il s’agit d’une substitution tardive et maladroite et en contradiction formelle avec la logique des faits. Le faux ressort d’ailleurs du style  » ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, etc. ». Cette insistance et ces précisions nullement indispensables trahissent à elles seules chez le faussaire anonyme, une détermination intéressée et donc obstinée, à convaincre ses lecteurs, malgré la matérialité des faits, d’une contrevérité patente.

Cette altération des faits, dans un texte yahviste, est certainement d’inspiration élohiste et avait un but : il s’agissait dans la pensée de son auteur, de faire du sacrifice d’Isaac (substitué à Ismaël), consenti par Abraham mais non exécuté, non seulement une leçon de haute spiritualité de foi absolue en Dieu, mais encore et surtout une référence au rachat des premiers-nés juifs et à la condamnation maintes fois rappelée par les Prophètes, de l’immolation des premiers-nés juifs, par imitation des pratiques païennes.

Quelle conclusion tirer de ce passage consacré au parangon du monothéisme ?

Abraham ancêtre spirituel des Arabes et des Juifs était d’origine mésopotamienne, le message qu’il était chargé de transmettre à une date à situer entre 2200 et 2000 avant Jésus-Christ, aux hommes, étai celui-là même que devaient communiquer tous les Prophètes de Dieu, en particulier Moïse, Jésus et Muhammad. L’Islam s’est, dès ses débuts proclamé comme une refonte, conformément à la doctrine d’Abraham du Judaïsme et du Christianisme déviés par les schismes et les sectes. L’épreuve de soumission dont il fut le héros sincère (khalîl) concerne Ismaël et non Isaac.

Sa doctrine fut essentiellement orale. La Bible en constitue une version écrite. Mais il existait – on en a la preuve – d’autres versions écrites, comme il en est question dans le Coran. Cette doctrine se ramène, au point de vue dogmatique à l’unicité et à la transcendance divines.