Débat sur l’organisation de l’islam de France : la Grande Mosquée de Paris pose des questions

25/11/2016  –  Paris (AFP)

La grande mosquée de Paris (GMP), puissance historique – fondée il y a 90 ans – et incontournable de l’islam en France, liée à l’Algérie, « réserve formellement » sa décision quant à sa participation à la troisième « instance de dialogue » le 12 décembre place Beauvau, a-t-elle prévenu dans un communiqué.

Cette instance a été lancée au printemps 2015 par Bernard Cazeneuve. Le ministre de l’Intérieur était désireux d’élargir le cadre du dialogue avec la deuxième religion de France (4 à 5 millions de croyants), actuellement représentée par des gestionnaires de mosquées en mal d’image et d’efficacité, en particulier face aux lourds enjeux liés à la radicalisation.

Mais la GMP, dirigée par Dalil Boubakeur, estime que le gouvernement « cherche à entériner (ses) initiatives dans la précipitation et la confusion, sans une large et longue consultation consensuelle, comme ce fut le cas pour l’édification sereine du Conseil français du culte musulman (CFCM) », créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, après plus de trois ans de consultation. Celle-ci avait été lancée en 1999 par Jean-Pierre Chevènement, à l’époque locataire de Beauvau.

Sollicité vendredi par l’AFP, l’Intérieur indique que « les discussions se poursuivent avec la GMP, comme avec l’ensemble des autres fédérations de l’islam de France ».

L’enjeu pour la GMP, qui revendique la tutelle de 250 des quelque 2.500 lieux de culte musulman en France, est de négocier sa place au sein de la fondation pour l’islam de France – présidée par Jean-Pierre Chevènement – et de l’association cultuelle en cours de création pour trouver de nouvelles sources de financement.

« Nous ne voulons ni le contrôle ni la prépondérance, mais que notre fédération soit justement représentée », assure un proche du recteur de la GMP. Dalil Boubakeur, 76 ans, s’est déjà vu confier la présidence du « conseil d’orientation » chargé de repérer les projets – culturels et non cultuels – financés par la future fondation.

Or manifestement ce fauteuil est jugé insuffisant du côté de la GMP, que le recteur Boubakeur dirige depuis près d’un quart de siècle, en plus de ses deux mandats à la tête du CFCM (2003-2008 puis 2013-2015), dont il est toujours président d’honneur.

« Dalil Boubakeur joue à l’enfant gâté et les gens du ministère de l’Intérieur accourent, tombant dans le panneau », s’agace une source proche du CFCM.

« Le problème avec Dalil Boubakeur, c’est qu’il est très difficile de construire sur lui, et qu’en même temps on ne peut rien faire sans lui », nuance un très bon connaisseur du dossier, lui aussi sous couvert d’anonymat.

– « Besoin d’aller vite » –

Pour cet observateur, il se joue en coulisses un nouvel épisode de la guerre « algéro-marocaine » qui mine un paysage français encore largement dominé par l' »islam des consulats ». Une source proche de la grande mosquée de Paris ne nie pas cette rivalité. Dans la composition en cours de l’association cultuelle, qui pourrait demain avoir la haute main sur une stratégique contribution sur le halal, « on retrouve trois entités liées au Maroc: la FNMF, le RMF et l’UMF », peste ce proche de Dalil Boubakeur. Or les musulmans d’origine algérienne sont plus nombreux en France que ceux ayant un lien avec le Maroc.

A cela s’ajoute une concurrence intra-algérienne, selon un observateur: la grande mosquée de Paris voit d’un mauvais oeil l’aura grandissante de celle de Lyon, dont le recteur Kamel Kabtane a obtenu une place au conseil d’administration de la fondation de l’islam. Bernard Cazeneuve a participé jeudi à la pose de la première pierre de son Institut français de civilisation musulmane (IFCM), un soutien remarqué.

Dans sa « nouvelle étape » en vue d’un « islam de France », « le gouvernement a besoin d’aller vite pour faire une démonstration, en particulier parce que les échéances électorales approchent », analyse la même source. « Il y a de l’affichage, on veut de la sérénité », dit-on du côté de la GMP.

25/11/2016 20:38:58 –  Paris (AFP) –  © 2016 AFP


Voir Aussi :

Réflexions du Révérend Père Christian Delorme sur les projets du rapport sur l’organisation de l’islam de France  de l’Institut Montaigne

Lyon, le 15 septembre 2016

Ce rapport fait un certain nombre de propositions qui reposent sur deux grands principes :

1) Rompre l’affiliation des organisations/institutions musulmanes de France avec les pays dont sont originaires à une, deux, trois ou quatre générations les musulmans de France (principalement : Algérie, Maroc, Turquie) ;

Cette volonté de rompre avec les pays d’origine, soulignée par la dénonciation d’un « islam consulaire », peut se comprendre dès lors que le conflit Algérie/Maroc paralyse la plupart des initiatives de construction d’institutions musulmanes « nationales ». Mais les pays concernés sont des pays amis et surtout, les « pays de coeur » de la majorité des musulmans de France qui sont, en grande partie, des bi-nationaux. Vouloir « rompre l’affiliation » paraît, dès lors, assez irréaliste et contraire au vécu interne profond de la plupart des musulmans de France.

2) Faire naître, sous la conduite de l’Etat français, une institution centrale d’autorité de l’islam de France, à partir de la FIF ( Fondation pour l’islam de France récemment « ressuscitée » ) et de l’AMIF ( Association des musulmans pour l’islam de France, association « adossée » on ne sait pas très bien comment à la Fondation ).

Le principe central de la loi de 1905, qui est aujourd’hui une des rares lois considérées par la majorité des Français comme « sacrée », est la séparation des Eglises et de l’Etat. Or toute la démarche Institut Montaigne/ El Karoui veut une prise en main quasi-totale de l’organisation de l’islam par l’Etat ! Comme si nous étions à l’époque de Napoléon, imposant aux juifs de France la mise en place du Consistoire israélite et le séminaire rabbinique! Comment peut-on imaginer pouvoir imposer une instance unique de direction du culte musulman dans une société de libertés ? Qui imaginerait imposer cela aujourd’hui à d’autres religions, par exemple aux Eglises protestantes de France qui comptent plusieurs fédérations, ou aux Eglise orthodoxes qui comptent plusieurs Eglises séparées ?

Toute une partie des propositions de l’Institut Montaigne montre le souci de trouver les moyens d’un financement « français » de l’islam de France à partir de quatre sources :

1) Les revenus du halal ( taxe liée au contrôle de la véritable « halalité » des viandes ) dont une partie, recueillie par l’AMIF, devrait servir à financer les grands projets au service d’un islam de France ( construction des mosquées, formation et salariat des imams… ) ;

Comment, dans une société de libertés, l’État pourrait-il prétendre organiser le financement du culte musulman ? Les Eglises comme les institutions juives accepteraient-elles une telle tutelle ?

Certes le ministère de l’agriculture a compétence pour définir qui peut contrôler la licéité des viandes. Le rapport propose d’enlever ce privilège aux grandes mosquées de Paris, d’Evry et de Lyon. Peut-on imaginer que celles-ci puissent être ainsi dépossédées… et conduites à la ruine car c’est ce qui leur permet de vivre ?!

2) Les revenus de l’organisation du pèlerinage aux Lieux Saints de l’islam, dont une partie, recueillie par l’AMIF, pourrait servir aux mêmes buts qu’une partie de l’argent du halal ;

Va-t-on, aussi, contrôler les revenus des pèlerinages chrétiens, à Lourdes, à Rome ou à Jérusalem ? Comment dans une société libérale et laïque peut-on imaginer imposer une « taxe religieuse » à des entreprises privées ?

3) Le contrôle de la « zakat », « impôt religieux volontaire », qui serait collecté par l’AMIF et servirait aux mêmes buts que l’argent récupéré sur le halal et sur le pèlerinage.

Va-t-on, pareillement, introduire un contrôle étatique sur le recueil du « denier de l’Eglise » et sur les dons des fidèles juifs aux synagogues, imposant que cet argent soit affecté à ceci plutôt qu’à cela ? Comment peut-on imaginer un pareil « régime d’exception » contraire à nos lois et à la Constitution ?

4) Le contrôle de tout argent étranger versé au bénéfice de l’islam de France.

 Même remarque que précédemment. Il serait possible de recevoir de l’argent étranger pour toutes les activités (entreprises, clubs de foot, télévision, etc ), sauf pour des entreprises religieuses ?!

Le rapport préconise également :

1) L’élection/nomination d’un « grand imam de France » ;

Il n’existe pas de « grand archevêque de France ». Tout évêque est indépendant d’un autre ( même s’il y a un « président de la Conférence épiscopale, mais celui-ci n’a pas de relation d’autorité sur les autres ) et ne relève que de l’autorité du pape de Rome ( un étranger ! ) ;

Les juifs comptent un « grand rabbin de France » depuis Napoléon, mais cela n’empêche pas l’existence de multiples entités juives non reliées au Consistoire central israélites (Loubavitchs , etc ). Comment l’État, aujourd’hui, pourrait-il imposer une telle institution et qui, parmi les musulmans, la demande et serait prêt à son émergence ?

2) L’élargissement du régime concordataire des cultes d’Alsace-Lorraine au culte musulman (en plus des cultes déjà reconnus : catholique, protestant réformé, juif ) ;

Cela ne concernerait, de toutes façons, que l’Alsace et la Moselle. Ce régime particulier pose déjà beaucoup de questions. On le conserve car il est un héritage de l’histoire. Mais personne : République, Églises et Synagogue n’est prêt à le toucher. Un débat national à son sujet ne pourrait aboutir qu’à la disparition de cette anomalie !

3) Un effort national en faveur de l’enseignement de l’arabe littéraire, comprenant un contrôle renforcé et une meilleure intégration au système scolaire républicain de l’ELCO ( Enseignement des langues et cultures d’origine ) ;

Dans l’ensemble ces propositions sont intéressantes et réalistes

4) La promotion des aumôneries musulmanes dans les institutions fermées ( armée, prisons, hôpitaux, lycées ) avec un souci d’une vraie formation des cadres d’aumônerie ;

Là aussi, les propositions sont réalistes. Cela est d’ailleurs déjà en application surtout en région lyonnaise mais aussi à Paris ( avec des formations aux lois et valeurs de la République des cadres de l’islam appelé à intervenir dans des institutions fermées et appelés à être salariés par la Puissance Publique ).

5) Une approche plus nationale de la création de « carrés musulmans » dans les cimetières de France, alors qu’actuellement chaque maire accepte et favorise ou non ces créations de carrés musulmans ;

Là aussi, on est en présence d’une proposition conforme aux besoins et réaliste.

6) Une modification de la Loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, en vue, d’établir une réelle égalité entre les cultes présents en France avant 1905 et ceux présents depuis.

Des propositions – dont la première serait « révolutionnaire » — à ce sujet :

  1. a) municipaliser tous les lieux de culte chrétiens, musulmans construits en France depuis 1905 ;
  2. b) inclure la possibilité « d’unions d’associations » relevant aussi bien du régime des associations selon la loi de 1901 et selon la loi de 1905.

Déjà aujourd’hui les municipalités n’arrivent pas à entretenir l’immense patrimoine immobilier religieux de France. Comment imaginer que de nouvelles charges leur soient imposées ? Les municipalités ne sauraient accepter pareille proposition. De plus, les Eglises ne sont probablement pas prêtes à abandonner aujourd’hui toute une part de ce qu’elles possèdent encore.

7) Le passage du Bureau des Cultes du Ministère de l’Intérieur à celui du Cabinet du Premier Ministre ;

Dans l’histoire, le Bureau des cultes n’a pas été toujours rattaché au Ministère de l’Intérieur. Ainsi a-t-il été rattaché, à une époque, à la Culture ( en raison des monuments historiques ). Le rattachement au Ministère de l’Intérieur se justifie par le fait que le Ministre de l’Intérieur est garant de la liberté de culte et qu’il dispose des moyens de coercition pour faire respecter ce droit ( police et gendarmerie ).

8) La création d’un Secrétariat d’État pour les religions et la laïcité auprès du Premier ministre ;

On sait le peu de poids des secrétariats d’État. On ne voit pas comment celui-ci en aurait plus que d’autres ! Et quel serait son rôle ? Être un « commissaire politique » chargé des religions ? Là encore, ce serait en contradiction avec la loi de 1905, selon laquelle « la République ne reconnaît aucun culte ».

9) La réalisation d’un manuel d’histoire commun fait par quelques pays européens du Sud (France, Italie, Espagne ) et par les pays du Maghreb et la Turquie.

L’idée est sympathique. Mais on est déjà incapable de faire des manuels d’histoire communs entre la France et l’Italie, la France et l’Espagne ( seul existe un manuel franco-allemand ) !

15 Septembre 2016


Voir Aussi :

Franck Frégosi : « La réponse à la radicalisation ne peut se résumer à une refonte de l’organisation de l’islam »

Lundi 3 Octobre 2016

SaphirNews / Rédigé par Samba Doucouré |

Quinze jours après la publication du rapport de l’Institut Montaigne sur l’islam de France, Franck Frégosi, professeur en sciences politiques à Aix-en-Provence, délivre son analyse sur cette étude très médiatisée. Ce spécialiste des questions d’organisation du culte musulman, dont les travaux ont été cités à plusieurs reprises dans le rapport, souligne la prise de position d’une élite musulmane française prête à évincer les traditionnelles fédérations en place pour commander la réorganisation de l’islam de France.

Franck Fregosi, spécialiste de l’islam et directeur du master Religions et société à l’Université d’Aix-en-Provence.

Saphirnews : Qu’est-ce que cette étude apporte de nouveau pour vous ?

Franck Frégosi : Ce que vous trouvez dans ce rapport est d’abord un essai, ou tout au plus une synthèse de rapports parlementaires sur l’organisation et le financement du culte musulman ainsi que des éléments tirés de recherches universitaires sur l’islam de France. Il y a ensuite la présentation d’une étude récente réalisée pour l’Institut Montaigne par l’IFOP sur les musulmans de France.

Au-delà de ces aspects, il ressort de façon globale que ce rapport suggère de modifier en profondeur la réalité institutionnelle de l’islam en France, son organisation pratique, son financement… C’est intéressant de noter que ce rapport est présenté par Hakim El Karoui, ancienne plume de Jean-Pierre Raffarin et ancien président de l’Institut des cultures d’islam de la Ville de Paris qui a été un de ceux qui ont mené la campagne contre la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation pour l’islam de France.

On se demande si ce rapport est véritablement destiné à apporter des réponses précises ou s’il n’est pas une étape dans l’agenda d’une certaine intelligentsia française de culture musulmane qui souhaite prendre les rênes ou impulser une dynamique de réorganisation de l’islam en France. Elle entend y jouer un rôle décisif, de premier plan, en lieu et place des acteurs plus classiques que sont les responsables de fédérations musulmanes, les recteurs de mosquée ; en bref, tout un ensemble d’opérateurs qui, au cours du temps, se sont transformés en administrateurs du culte. On voit bien d’ailleurs dans ce rapport que le CFCM fait les frais de ce projet de rénovation ou de restructuration de l’islam.

(…) Le CFCM est renvoyé à un rôle de simple figurant dans cette réorganisation alors que c’est l’institution qui a tout de même été créée par les pouvoirs publics afin d’avoir un interlocuteur. Je me demande si, avec une telle réorganisation, on ne risque pas d’aboutir in fine à un schéma qui rendrait plus complexe encore la réalité institutionnelle de l’islam en France. Je ne suis pas certain que l’on gagne en lisibilité, d’autant qu’il n’est plus question d’élire des représentants mais bien de procéder à des nominations ciblées. Nous avions jusque-là le CFCM dont la désignation n’est pas toujours très démocratique, puis avait émergé l’Instance de dialogue… Voici venue l’heure de la Fondation (culturelle) et d’une Association musulmane (cultuelle) pour un islam français !

Apparentez-vous cela à un coup de force ?

Franck Frégosi : Les commanditaires ou plutôt les auteurs de ce rapport veulent manifestement prendre date. A plusieurs reprises dans le rapport, il est évoqué que nous sommes en campagne présidentielle. L’idée est donc de dire à l’adresse non pas des fidèles musulmans ordinaires mais du personnel politique qu’une intelligentsia musulmane, française, parfaitement à l’aise dans et avec les idéaux de la République, et assumant un référentiel musulman, est fin prête à prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’islam en France et souhaite même prendre les rênes du processus de réorganisation pour faire émerger un islam français.

Jusqu’à présent, on était censé être passé d’un islam en France à un islam de France ; là, il semble que se pose clairement la question d’un islam français. L’objectif est bien de parachever la gallicanisation de l’islam, l’affirmation d’un islam résolument français, autonome financièrement de fonds étrangers, indépendant institutionnellement et religieusement sous la houlette d’une élite musulmane laïque.

Le rapport avance un chiffre de 28 % de musulmans considérés comme en « rupture » avec la République. Est-ce raisonnable ?

Franck Frégosi : Le rapport suggère que l’islam en France est confronté à une dynamique où un schéma dit « autoritaire » ou qu’une dynamique hyper littéraliste aurait le vent en poupe. Cela peut être vu comme un élément qui apporterait de l’eau à tous ceux qui affirment que l’islam doit se réformer.

Le problème des typologies en général, c’est qu’on croit parfois qu’elles sont le reflet d’une réalité sociale, alors qu’il s’agit d’abord de constructions théoriques. Là, les auteurs font état de positionnements sur le niqab ou la polygamie. La thématique de la polygamie ne me semble pourtant pas animer et mobiliser les musulmans sur les forums islamiques sur le Net. Ressortir cet élément me semble en décalage avec la réalité. Avec la question du niqab, on sent bien qu’on appuie sur un certain nombre de sujets sensibles.

Après se pose la question de la contestation de la laïcité. On sait très bien qu’il y a des individus qui, par leurs attitudes ou leurs propos, ne reconnaissent pas que la loi de la République a la primeur sur toute autre législation. Pour autant, être critique à propos de la laïcité ne signifie pas nécessairement qu’on considère que la loi religieuse prime sur la loi de l’Etat. On peut très bien être critique par rapport à une lecture de la laïcité ou une certaine instrumentalisation de celle-ci. Cet été, avec le débat sur le burkini, on a vu une tentative d’opération consistant à faire des plages des espaces d’application de la « laïcité », sans base juridique solide. Des Français ont contesté cette approche extrêmement ciblée qui va à l’encontre de ce que la laïcité est censée être, sans pour autant contester la légitimité du principe de laïcité. Ne confondons pas la critique légitime de certains usages sociaux et politiques de l’idée de laïcité (laïcité punitive, sélective…) avec toute prétention à substituer à la loi commune républicaine une législation religieuse.

Est-ce pertinent d’utiliser le qualificatif « autoritaire » pour désigner une partie des musulmans rigoristes comme le fait l’Institut Montaigne ?

Franck Frégosi : On pourrait aussi parler d’une vision conservatrice ou ultra-conservatrice. On sait très bien qu’il y a des comportements ultra-rigoristes parmi les musulmans de France (comme dans d’autres communautés religieuses !) qui ont tendance à se mettre eux-mêmes en dehors de la société mais sans chercher pour autant à l’imposer aux autres. Effectivement, les mots peuvent nous piéger.

Je note aussi que l’étude pointe le fait que, dans ce troisième groupe, l’islam apparait avant tout comme un exutoire, l’expression de frustrations sociales plus que la traduction mécanique d’un islam standardisé et doctrinaire. Les personnes dites « autoritaires » le sont devenues aussi en raison de ce qu’elles ont vécu socialement, ou d’un ressenti particulier. C’est le reflet quelque part indirect de ce qu’elles ont pu objectivement subir dans la société ou du moins de leur perception subjective. Ce n’est pas du tout un processus qui serait automatiquement et mécaniquement généré par une idéologie particulière, quand bien même nous devons nous interroger sur la diffusion de certaines expressions ultra-orthodoxes de l’islam (ou présentées comme telles). Encore faut-il être en capacité de rapporter ces idées et ces postures à des réalités sociales (socialisation, habitat, milieu socioprofessionnel, rapports de classes et de genres…).

Le rapport met en exergue les problèmes sociaux des 28 % de sondés mais ne propose rien pour les aider.

Franck Frégosi : On essaye de traiter le problème par le haut en s’imaginant que c’est parce qu’on va transformer les institutions qu’on va parvenir à endiguer la radicalisation. Cela sans se poser la question du terreau social, urbain et démographique qui fait que des individus vont être attirés par des « entrepreneurs de radicalité ». Sur ce volet-là, je n’ai pas le sentiment que des réponses figurent en tant que telles dans le rapport. Je ne pense pas que la réponse aux phénomènes dits de radicalisation puisse se résumer à une refonte de l’organisation de l’islam institutionnel.

Et comment réagissez-vous à la proposition assez irréaliste de l’élection d’un grand imam de France ?

Franck Frégosi : La situation de l’islam en France requiert qu’on fasse preuve d’imagination, mais il faut penser à partir de la réalité du terrain. Il est dit, à juste titre dans le rapport, que la réalité de l’islam en France est une réalité locale. Les vraies questions se posent à l’échelon local. Et voilà qu’il serait question de renforcer la centralisation de l’organisation de l’islam de France. Il y a un paradoxe. On propose un schéma très pyramidal. Certaines sociétés musulmanes l’ont connu, mais ce n’est pas pour autant que c’est transposable ici et aujourd’hui. Le schéma suggéré par le rapport de l’Institut Montaigne est très jacobin, il est justement un peu trop jacobin pour la gestion de l’islam de France. Peut-être qu’il faudrait réfléchir à comment davantage impliquer les acteurs de terrain. Les fidèles sont les grands absents de la réflexion. Ont-il leur mot à dire ?

Source : http://www.saphirnews.com