Commémoration de la Victoire du 8 mai 1945 et du souvenir des soldats musulmans morts pour la France

Commémoration du 72ème anniversaire
de la Victoire du 8 mai 1945

 Grande Mosquée de Paris, le Jeudi 4 Mai 2017
DISCOURS DU RECTEUR DALIL BOOUBAKEUR 

 Monsieur le représentant du Président de la République,
Mesdames et Messieurs les représentants du Gouvernement,
Mesdames, Messieurs les Anciens combattants,
Mesdames, Messieurs les officiers représentant les institutions militaires,
Mesdames et Messieurs les représentants du corps diplomatique,
des Associations d’anciens combattants et du culte,
Madame la représentante de la Maire de Paris,
Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

La Grande Mosquée de Paris est honorée comme chaque année de vous recevoir aujourd’hui et de vous souhaiter la bienvenue afin de commémorer avec vous le 72ème anniversaire de la victoire du 8 mai 1945.

Cette date historique marque la fin de la plus terrible des guerres de l’humanité qui, de 1939 à 1945, coûta la vie à plus de 60 millions de personnes avec des sommets d’atrocités et de massacres jamais atteints jusque là.

D’un bout à l’autre de la planète, des empires sombrèrent et d’autres émergèrent. L’aliénation de l’homme fit un moment craindre la perte totale de liberté de chacun, la fin de la démocratie et du respect dû à chaque être humain.

Comme l’écrivent les philosophes Emmanuel Levinas ou Hanna Arendt, dans ce maelström de violence et de crimes, les religions elles-mêmes sont remises en cause et violement interpellées. Cette déréliction plonge dans l’horreur et le désarroi, ceux qui voient dans ces monstruosités un mouvement incompréhensible du destin de l’humanité. Dieu a-t-il abandonné les Hommes à leur animalité toujours prête à resurgir ?

Ou peut-être est-ce l’Homme qui, en proie à cette « insoutenable légèreté de l’être », comme dit l’écrivain Milan Kundera, oublie à la fois Dieu et sa propre insignifiance, se croyant tout puissant en se dévoyant dans le crime, l’exaction et la mort de millions d’innocents ?

Dès 1940, la France est envahie, occupée et martyrisée pendant de longues années. Elle assista alors à l’éveil de la Nation mue par l’espoir et l’esprit patriotique de résistance.

Une véritable clameur citoyenne s’éleva dans le pays portée par des cœurs meurtris afin de rétablir la liberté, les valeurs de la République et la solidarité entre toutes les composantes de la Nation.

Il n’y eut plus de distinction entre juifs, chrétiens ou musulmans. L’union sacrée contre la tyrannie et l’asservissement rassembla tous les citoyens combattants, les résistants, et tous ceux qui, métropolitains ou bledards, peuples des mers ou des terres d’Afrique, répondirent à l’appel du 18 juin du Général de Gaulle.

C’est le Général Leclerc qui, dès sa rencontre à Londres avec le Général de Gaulle au lendemain de cet appel reçut l’ordre formel de rassembler et de rallier l’ensemble de l’empire à la France libre.

Qu’ils soient Maghrébins mobilisés, Berbères Chaouis, Kabyles, Sahariens, Africains équatoriaux, Zouaves, Tirailleurs, Spahis, Goumiers, Touaregs, Sénégalais, Malgaches ou Orientaux, ils voulurent accompagner leurs frères d’armes des Forces Françaises Libres.

Aux côtés des millions de soldats de Métropole, des centaines de milliers d’Hommes venus d’outre mer rejoignirent leurs frères d’armes. Ils constituèrent plus de 54% des effectifs engagés dans des unités glorieuses telle que la 2ème D.B ou la 1ère armée de la campagne d’Italie.

C’est à Brazzaville en 1940 que fut installé par le Général de Gaulle le Comité français de libération nationale. Du Sénégal, du Tchad, du Cameroun en 1941, la division française de Leclerc gagne la Libye, où, avec les Alliés, Koufra est prise grâce à l’opiniâtreté des 4 000 tirailleurs sénégalais, des unités maghrébines ainsi que d’une formation de la Légion Etrangère.

La garnison italienne capitule. Les forces françaises libres s’unissent alors pour vaincre à Bir Hakeim l’Afrika Korps de Rommel et de Kesselring pendant que les Britanniques gagnent El Alamein.

En 1942, sous les assauts répétés des Alliés, les forces de l’Axe se replient et quittent définitivement l’Afrique.

Les soldats Français et Britanniques commandés par Montgomery s’avancent vers la Corse et la Sicile avant de mener la rude Campagne d’Italie. Monte-Cassino est prise en octobre 1943 et la victoire du Garigliano au printemps 1944 grâce aux tirailleurs et montagnards du Général Guillaume.

Malgré d’immenses pertes humaines, rien ne pouvait les arrêter. Avec le Général de Monsabert, les divisions de tirailleurs (et de célèbres combattants tels que Ahmed Ben-Bella) s’illustrèrent également sur les champs de bataille d’Europe.

Après le débarquement de Provence en août 1944, les troupes menées par Montsabert libèrent Marseille tandis que les Alliés menés par de Tassigny entrent à Toulon, ce qui formera la Première armée comptant 170 000 soldats originaires de France métropolitaine et pas moins de 233.000 musulmans. Ces chiffres qui allaient atteindre 500.000 engagés et des volontaires venus de tous les coins de France.

Nous n’oublions pas hélas les tristes exactions commises sur le territoire national par l’ennemi et ses collaborateurs, hélas parfois français… 

Nous n’oublions pas la terrible rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 qui occasionna la déportation de pas moins de 70.000 personnes, femmes et enfants juifs, vers l’Allemagne via Drancy avant de gagner les chambres à gaz d’Auschwitz, Dachau ou Bergen-Belsen ou Mauthausen.

Nous n’oublierons jamais Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne, la ville martyre où  649 personnes confondues rassemblées par les SS de la division Das Reich dans l’église enflammée, connurent une mort  atroce. Nous n’oublierons pas non plus le sacrifice des centaines de résistants du Vercors, le 13 juillet 1944.

Et nous n’oublions pas la stupeur du Général Petrenko en découvrant l’univers concentrationnaire où des millions de spectres d’apparence humaine décharnés représentants des Juifs, mais aussi des Tziganes et d’opposants divers, tentant inlassablement de survivre. On apprend alors l’existence d’enfers sur terre, des camps de la mort qui ont pour nom Birkenau, Buchenvald, Treblinka, Dachau, Sobibor, Auschwitz et tant d’autres…

C’est enfin le 3ème Régiment de Spahis et la 4ème  division marocaine de montagne qui rendent possible le franchissement du Rhin à Köln. En mai 1945, le 1er régiment de Spahis marocains participe, au sein de la 2ème D.B du Général Leclerc, à la prise du Berghof de Hitler à Berchtesgaden. 

La participation des troupes d’Afrique a permis à la France d’être du côté des vainqueurs le 8 mai 1945. La reddition allemande s’opéra dans la nuit du 8 au 9 mai. Le Général Jold signe la capitulation totale du Troisième Reich en présence des représentants des Alliés, dont le Général de Tassigny, qui représentait pour sa part la France.

La Seconde Guerre Mondiale laisse le souvenir d’atrocités incroyables que jamais l’humanité n’osa commettre dans son histoire. La Mosquée de Paris aussi participa à la sauvegarde de malheureux juifs persécutés ou recherchés, prenant de grands risques en bravant l’occupant. Toutefois, une forme d’espérance allait grandir avec la paix mondiale recouvrée et la victoire de la Paix pour de longues années. L’Europe est là pour l’assurer.

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui plus que jamais cette mémoire reste nécessaire pour rappeler à tous notre commune et nationale fraternité, notre égale citoyenneté que n’ébranlèrent pas les moments les plus critiques de l’histoire de notre pays. Nous voulons voir là un rappel salutaire et une note d’espoir dans un moment où notre cohésion s’impose.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

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