Conférence débat avec Emmanuel TODD

C’est sur la montée de l’islamophobie et de l’antisémitisme, une tendance plus que préoccupante pour notre vivre ensemble, qu’Emmanuel Todd, à l’invitation du Recteur Dalil Boubakeur, est venu vendredi 18 septembre 2015 apporter sa réflexion de 19h à 21h dans la salle de conférence de la Grande Mosquée de Paris en présence d’un public attentif.

Présentation du conférencier

Emmanuel TODD est historien, démographe et anthropologue, issu d’une grande famille d’intellectuels français. Ses travaux sur les structures familiales ancestrales françaises, sur le déclin des empires soviétique et américain, sur la sociologie électorale française ou sur la fracture sociale, ont d’ores et déjà marqué le débat d’idées en France et ailleurs.
Penseur et analyste acéré, parfois controversé, il est l’un des intellectuels français majeurs.
Dans son livre « Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse » il a suscité de vives polémiques. Il a cartographié la taille des manifestations du 10 et 11 janvier en réaction à l’attentat de Charlie Hebdo et du supermarché Hyper Cacher.
Il a ensuite analysé les corrélations entre la participation aux manifestations et des paramètres sociologiques et religieux pour les différentes villes françaises. Un travail dense, très documenté, riche en calculs et analyses.
Il en a tiré une interprétation à contre-courant des idées reçues.
Pour lui, « On se trouve dans une situation objective et concrète d’exclusion de larges pans de la société française qui produit des phénomènes d’islamophobie et d’antisémitisme ».

ABSTRACT DE LA CONFÉRENCE D’EMMANUEL TODD
vendredi 18 septembre 2015

« Pour une cohabitation paisible entre deux sociétés, il est essentiel que chacune connaisse les habitudes culturelles, l’organisation familiale, la religion et les traditions l’une de l’autre. Or, ce n’est pour ainsi dire, jamais le cas.
« Comment faire coexister deux modèles en tout point différents qui ignorent tout l’un de l’autre ? Opter pour l’indifférence ? C’est ce que la gauche a fait pendant des décennies, ignorant un malaise grandissant au sein des classes populaires des années 80 qui assistaient à une vague d’immigration maghrébine et s’étonnaient de ne pas voir les Arabes absorber suffisamment vite le mode de vie à la française. Passage de l’araphobie à l’islamophobie. Le voile, les interdits alimentaires, les fêtes religieuses, autant d’éléments avec lesquels doit composer cette population habituée à un universalisme qui tend tellement à gommer toutes les différences que, parfois, il frise l’intolérance. On les a encouragés à ignorer, à « faire avec » sans porter attention à leur malaise. La non-action des élites, premier faux pas dans la lutte contre la xénophobie.
Second volet  : l’obsession récente de l’Islam au sein des classes moyennes. « Fonctionnaires et enseignants se plongent dans la lecture du Coran. Ce qui pourrait ressembler à un pas vers la culture d’autrui, prend une tout autre teneur dès lors que, démunis des outils culturels pour saisir les textes sacrés, ces classes moyennes en tirent une interprétation erronée qui les pousse un peu plus sur la pente de l’islamophobie. Ignorance, mère de tous les vices…
Dans le dernier volet de son exposé, E. Todd aborde ce concept qui fit tant parler de lui, les « catholiques zombies ». « Ces hommes et femmes, aujourd’hui retraités ou proches de l’être, on connut la déchristianisation massive de la France d’après-guerre. Or, lorsqu’un groupe humain abandonne une religion, il s’en trouve profondément bouleversé et doit se construire de nouvelles valeurs. Jusque dans les années 60, Français croyants et non-croyants trouvaient, l’un dans l’autre, un frère ennemi. Mais tout s’écroule depuis quelques années, depuis que la France est en grande partie déchristianisée. Les non-croyants d’alors n’ont plus personne à pointer du doigt, les nouveaux incroyants doivent faire face au vide existentiel laissé par la religion. Presque inconsciemment, ces foules se trouvent un ennemi commun, un citoyen qui à l’ère de l’athéisme défend ses dogmes et sa foi : le Musulman. C’est cette forme d’islamophobie que Todd voit à l’œuvre lors des manifestations de janvier, bien plus qu’une défense des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. 

« Alors que faire ? Que faire pour lutter contre ce rejet de l’Islam ? Comment la France a-t-elle pu rendre fous des jeunes de banlieue parfois prêts à commettre les pires exactions ?
Le sociologue incrimine la gestion économique du pays, l’Euro brandi comme un idéal dont seuls quelques privilégiés profitent, et, encore une fois, incrimine ce droit à la différence qui s’est mué en une véritable négation de toute une part de la population.

« La faute est aux élites, dit Todd. Aux élites qui laissent pourrir la situation, qui délaissent jeunes de banlieues et ouvriers. Ne rien faire, rester aveugle, laisser croître la haine, voilà le terreau sur lequel s’érigent l’islamophobie et la déliquescence de toute la société française.
« Néanmoins, une caste d’énarques ne suffit pas à bouleverser les mentalités et chacun a à agir à son niveau contre l’islamophobie et l’antisémitisme en commençant par se rapprocher de l’altérité, de l’autre, non pas pour la combattre, mais pour tenter de la comprendre. Une approche qui apportera plus de sérénité et consolidera les fondations du vivre ensemble sur lesquels s’est construite la République. »

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